Cette semaine, je reçois Lucie Pinson. Son nom n’a pas pu vous échapper puisqu’elle a fait la une de tous les journaux ces dernières semaines. Lucie Pinson a remporté le 30 novembre 2020 le prix Goldman pour l’environnement. Ce prix est considéré comme un équivalent du prix Nobel dans le secteur de l’écologie. Elle est la quatrième française à recevoir cette distinction depuis 1992. Claire Nouvian, directrice de l’ONG Bloom, l’a d’ailleurs reçu en 2018. Militante pour la défense des droits humains depuis le début de ses études, Lucie Pinson incite depuis 2013 les banques et assurances à arrêter d’investir dans les énergies fossiles. Elle décrypte les rapports des plus grandes banques et assurances mondiales et fait pression sur ces grandes entreprises pour empêcher que des projets dépendants du charbon voit le jour. Dans cet épisode, elle nous raconte son combat et nous donne des clés pour nous investir en tant que citoyens et citoyennes et essayer, à notre échelle, de faire bouger les lignes. J’espère que cet épisode vous plaira. Bonne écoute à toutes et à tous !Bonjour Lucie !
Bonjour !
Nous sommes aujourd’hui réunies pour parler de ce qui vous anime depuis plusieurs années. Avant de parler de Reclaim Finance, j’aimerais que vous commenciez, s’il vous plaît, par vous présenter.
Alors je m’appelle Lucie, j’ai 35 ans. J’ai fondé Reclaim Finance, une ONG dédiée à la finance et au climat en mars 2020. Avant cela, je travaillais déjà sur la finance et sur le climat, sur la responsabilité des grandes banques, des grandes sociétés d’investissement et d’assurance dans le dérèglement climatique et les violations de droits de l’homme qui sont associés. J’ai travaillé pour cela avec deux associations. La première, c’était les Amis de la Terre France que j’ai rejoint en 2013 en tant que chargée de campagne finance privée et j’y suis restée jusqu’en 2017 en tant que salariée. Après j’ai continué à travailler bénévolement pour cette association à laquelle Reclaim Finance est aujourd’hui affiliée. J’ai rejoint une autre organisation au niveau international qui s’appelle t’he Sunrise Project’ et j’étais en charge de soutenir des personnes comme moi qui menaient des campagnes sur la finance et sur le climat dans leurs pays respectifs. Je coordonnais notamment une campagne qui s’appelait ‘Unfriend Coal’ qui s’appelle aujourd’hui ‘Insure Our Future’ et qui vise les grandes sociétés d’assurances au niveau international pour leur demander de ne plus assurer des nouveaux projets d’énergies fossiles et notamment du charbon.
Quand vous avez rejoint les Amis de la Terre en 2013, vous aviez déjà cette envie de vous attaquer au monde de la finance, de discuter avec les grandes banques, les grandes assurances ?
Alors les Amis de la Terre, je les connaissais déjà pendant mes études mais je les ai surtout découverts en 2011 à la fin de mes études alors que j’étais en stage et que j’étais chargée de participer à l’organisation des contre-sommets G8 / G20 qui étaient en France. Je travaillais également sur le rôle de la spéculation, sur la volatilité des prix sur les marchés agricoles (pourquoi spéculer peut entraîner des milliers de personnes à ne plus pouvoir se nourrir). Comme je baignais dans ce milieu des ONG de solidarité internationale implantées à Paris, je suivais de très près les Amis de la Terre et notamment, j’étais bien au courant de la campagne qu’ils avaient lancée il y a déjà plusieurs années en direction des grandes banques privées. J’étais déjà consciente de l’importance de la finance et du rôle stratégique de ces acteurs-là. Ceci étant dit, je voulais surtout travailler aux Amis de la Terre parce que je me retrouve pleinement dans leurs projets. C’est une association qui est souvent décrite comme une association de défense de l’environnement alors que statutairement, dans la manière dont elle se présente, c’est une association de protection de l’homme et de son environnement, qui mêle dans tous ses combats les aspects de justice sociale aux aspects de justice environnementale. C’est quelque chose qui m’a, moi, beaucoup parlé en tant qu’ancienne militante des droits de l’homme. J’ai décidé de rejoindre les Amis de la Terre et j’étais très heureuse d’avoir un poste sur les questions financières qui m’ont extrêmement passionnée, sur lesquelles je me suis formée petit à petit et je pense que je travaillerai sur la finance encore pendant de nombreuses années.
Ça c’est certain, d’autant plus que vous venez de recevoir le prix Goldman pour l’environnement donc c’est quand même une consécration ! C’est un prix qui avait notamment été reçu par Claire Nouvian de Bloom en 2018, je crois. Qu’est-ce que ça vous apporte d’avoir reçu ce prix ?J’imagine que c’est une belle reconnaissance …
Oui, c’est une belle reconnaissance. On est content, on est forcément très heureux. C’est extrêmement gratifiant de voir son travail reconnu et puis c’est surtout la première fois que quelqu’un est récompensé de ce prix pour avoir combattu un problème spécifique via le levier financier. Ca, c’est intéressant. C’est sûr que c’est une belle reconnaissance du combat que j’ai pu mener aux côtés de mes collègues en direction des acteurs financiers en France et au niveau international. Au-delà de cela, c’est certain que ça va nous aider à faire connaître ce message, l’importance de la finance dans les dérèglements climatiques, l’importance qu’il y a à aller demander des comptes à nos banques, à nos assureurs, nos investisseurs sur l’usage de l’argent qui leur est confié. Et puis, ça booste, ça donne envie d’aller encore plus loin dans notre combat.
Quand vous avez commencé à vous rapprocher de ces grandes banques privées, comment est-ce que vous avez réussi à amorcer le dialogue, parce que ça doit pas être évident ? Comment est-ce que vous discutez avec elles, quel levier est-ce que vous pouvez avancer ? Est-ce que c’est vraiment l’impact environnemental, sachant que votre combat, c’était, en tout cas pour le moment, davantage la fermeture des usines à charbon, même si vous êtes concerné par toutes les énergies fossiles, c’est ce pourquoi vous avez oeuvré le plus. Comment est-ce que vous arrivez à amorcer ce dialogue ?
Déjà, il faut comprendre de quoi on parle lorsqu’on parle d’une banque. Quand nous allons voir des hommes et des femmes qui travaillent pour la banque, de la même manière que pour un assureur ou une société d’investissement, on a la chance tout de même d’avoir des interlocuteurs qui soient assez permanents. On n’arrive pas en terrain vierge, nous les connaissons et il y a une discussion qui s’installe sur la durée qui va nous permettre d’avancer. C’est sûr qu’en 2013 lorsque nous sommes allés voir ces établissements et leur avons demandé de ne plus financer ou assurer certains projets d’énergies fossiles, et en effet c’était sur le charbon que nous nous concentrions, ce n’était pas du tout quelque chose d’acté. Aujourd’hui en 2020, tout le monde dit : « Le charbon, c’est mal, il faut absolument en sortir… », le débat c’est plutôt comment on fait. A l’époque, c’était pas le cas. A l’époque, en 2013, également au niveau public, le climat n’était pas vraiment une inquiétude et la population française n’avait même pas conscience de l’importance du charbon dans le mix énergétique au niveau international et son rôle dans la pollution de l’air, dans des millions de morts prématurées et dans l’aggravation de la situation climatique. Nous, on a déjà dû avoir une discussion sur l’utilité du charbon et sur notre capacité à nous passer du charbon. On a passé beaucoup d’heures à démontrer que le charbon ne pouvait pas devenir propre. C’était le fameux débat : « Le charbon, c’est sale mais ne vous inquiétez pas, nous allons transformer les technologies pour le rendre plus propre. » et nous, nous disions : «Mais non, in fine, vous arriverez à le faire légèrement moins sale mais certainement pas propre et en tout cas, ce sera impossible de le rendre compatible avec les objectifs climatiques ». On a également dû démontrer que le charbon n’était pas une solution pour le développement des pays en développement et ne permettait pas nécessairement de faciliter l’accès à l’énergie ou à l’électricité des populations en situation de précarité énergétique. On a fait énormément de recherches pour appuyer nos dires et des recherches macro – il y a énormément de rapports qui sont menés sur ces questions-là que nous avons dû présenter et nous sommes également allés sur le terrain. Je suis partie en 2014 en Afrique du sud. Le mix énergétique de l’Afrique du sud est fondé (à l’époque, c’était à plus de 90%) sur le charbon et deux énormes centrales avaient été financées autour de 2009 / 2010 par l’intégralité des grandes banques françaises parce qu’il y avait Alstom d’impliqué et l’Etat français avait garanti la transaction. C’était vraiment une histoire à la française et d’un côté on voyait l’impact environnemental, social mais également économique et financier de ces centrales-là (aujourd’hui, beaucoup d’articles disent que ces deux centrales ont causé la faillite économique du pays) et de l’autre côté, il fallait dénoncer cette idée qu’il va falloir forcément passer par des énormes projets énergétiques centralisés pour répondre aux problèmes de l’accès à l’énergie de ces populations. On a mené toutes ces études-là, on a communiqué beaucoup, pendant deux ans, sur ces enjeux-là, pour imposer le sujet et le fait que le charbon n’est pas une solution et qu’il doit être laissé derrière nous. Une fois qu’on a dit ça, il va falloir aller beaucoup plus loin pour convaincre les acteurs de ne plus financer certains projets. A l’époque, on n’était pas du tout au même degré de maturité qu’aujourd’hui donc il ne s’agissait pas de dire : « Sortez du charbon ! ». La première campagne, c’était de demander à la Société générale de se retirer d’un projet de mine de charbon en Australie puis les banques françaises se sont pro-activement engagées à ne plus financer les projets dans un bassin non exploité en Australie. On était loin de : « Vous dites non à toutes les centrales ou toutes les mines. » C’était plutôt : «C’est juste un bassin et vous le refusez. ». Mais déjà, c’était un changement de paradigme. C’est la première fois que des banques pro-activement, publiquement disaient : « Toute cette zone-là, on ne va pas y aller en raison des impacts que cela aura sur la biodiversité, sur le climat… » et petit à petit, on a pu les pousser à arrêter toutes les mines, puis les centrales, puis une fois qu’on a arrêté ça, il faut s’attaquer aussi aux entreprises… En plus du débat « le charbon, c’est pas nécessaire, le charbon, c’est pas propre », on va présenter tous les impacts de ce secteur-là, leur dire également que, sur le long terme, c’est pas un pari gagnant de miser sur le charbon d’un point de vue économique et financier. C’est aussi dans l’intérêt sur le court terme pour la banque de partir : on essaie de leur faire comprendre, même derrière nos quatre murs, que l’histoire qu’on leur raconte de personnes impactées, de sols pollués, de populations déplacées de force etc., c’est pas la belle histoire qu’ils ont envie de voir étalée dans l’espace public. Il y a un risque réputationnel majeur pour ces institutions qui ont pignon sur rue, qui ont des clients, qui ont des salariés aujourd’hui, d’autres salariés à attirer, notamment ceux issus des grandes écoles et qu’il est dans leur intérêt de se retirer dès maintenant de certains projets plutôt que d’apparaître comme responsable de l’aggravation de la situation climatique. Le risque réputationnel va être un levier majeur pour les faire bouger, levier réputationnel qui se traduit concrètement pour eux en des coûts économiques et financiers.
Est-ce que vous avez observé un changement après la COP 21 et après 2015 ?
Certainement. Il y a eu un avant et un après. Nous savions que la COP 21 allait être un moment d’accélération et également dans la prise de conscience des acteurs financiers et de leurs responsabilités dans la lutte contre le dérèglement climatique. On savait que ça allait être très important. On a joué un rôle majeur pour imposer le sujet du charbon à la COP 21 et s’assurer qu’aucun acteur financier ne puisse aller à la COP 21 sans avoir de politique sur le charbon. On s’est assuré qu’ils n’auraient pas pu aller à la COP et faire seulement valoir leurs financements dans les énergies renouvelables car tout journaliste leur aurait rétorqué : « Oui, c’est très bien mais que faites-vous sur le charbon ? Ca ne suffit pas de financer du vert si vous continuez à financer la pollution de l’autre côté. Ca va pas le faire ! ». On savait que chaque acteur allait vouloir briller à la COP 21 et faire valoir son engagement en matière climatique. On a bataillé vraiment pendant un an, on n’a pas arrêté en 2015. On a enchaîné les campagnes pour obtenir à arracher de plus en plus de victoires jusqu’à la COP 21 parce qu’on savait bien qu’après la COP 21, ça allait être quand même l’effet un peu gueule de bois : « C’est bon, le climat ça suffit ! On en a parlé pendant un an…. », également médiatiquement, ça allait être moins porteur donc on savait qu’il fallait vraiment tout faire avant. On a quand même maintenu la pression pendant de nombreuses années mais d’un côté ça a été beaucoup plus facile parce que le sujet était installé, la responsabilité des acteurs financiers était reconnue mais de l’autre côté, beaucoup plus compliqué puisque médiatiquement c’était moins porteur, on s’attaquait à des questions très techniques, les banques françaises faisaient valoir : « C’est bon ! Le charbon, nous avons fini, nous avons arrêté les projets. C’est bon, c’est derrière nous, on n’en parle plus ! ». Nous, une ONG, qui tous les ans publions un rapport faisant l’état des financements toujours alloués au secteur du charbon, on passait pour des rabat-joie, également vis-à-vis des médias : « Vous nous dites toujours la même chose. Changez de disque ! Vous en avez pas marre ?! » « Mais non, nous n’en avons pas marre ! Désolé mais il y a toujours 90 % des financements qui vont aller au charbon. Les banques, AXA etc continuent de financer ou d’assurer des entreprises qui développent des nouveaux projets charbon donc non ! Certes, c’est un peu redondant. Certes, on comprend que pour distraire, c’est pas top mais malheureusement, le problème est toujours là et on va continuer à le faire ! » Médiatiquement, c’était beaucoup moins porteur et puis ça devient très technique. On a levé le capot et il faut comprendre les différents mécanismes financiers, la réalité de l’industrie du charbon. Il ne s’agit plus seulement d’arrêter quelques entreprises parce qu’il s’agit plus seulement d’arrêter l’expansion du secteur mais il va falloir aussi s’assurer que les milliers d’infrastructures charbon en opération dans le monde soient fermées. Il faut des politiques très complexes qui allient à la fois des mesures d’exclusion mais aussi des mesures d’engagement en direction des entreprises comme Engie ou autres qui n’auraient pas beaucoup de charbon mais qui ont quand même du charbon et doivent même se mettre au travail pour assurer la fermeture de leurs infrastructures.
C’est ce sur quoi vous travaillez en ce moment ?
Ca c’est ce sur quoi nous travaillons en ce moment en 2020. C’était en 2019 pour Crédit agricole et AXA suivis d’un certain nombre d’acteurs financiers français. Ils ont adopté ce qu’on appelle des politiques de sortie du secteur du charbon ou en plus des mesures d’exclusion d’un certain nombre d’entreprises, les entreprises restant en portefeuille vont se voir demander d’adopter des plans de sortie du secteur du charbon. Il y a un vrai enjeu de définir c’est quoi un plan de sortie, s’assurer que chaque actif va être fermé selon les bonnes dates pour respecter la trajectoire climatique et puis ça va être aussi un gros débat sur ce qu’on fait de ces centrales. Si on les ferme, c’est bien. Si on les vend comme Engie l’a fait pendant les cinq dernières années en vendant la moitié de ses centrales à charbon, climatiquement il n’y a aucun impact positif : les centrales sont toujours opérées par quelqu’un d’autre et elles continuent à émettre. Ce qu’il faut c’est, bien entendu, les fermer et donc il faudra qu’on soit très vigilant pour s’assurer que les acteurs financiers poussent leurs clients à fermer leurs centrales et qu’on soit également vigilant pour s’assurer que ces centrales ne soient pas non plus ni vendues ni converties à la biomasse ou au gaz puisque la biomasse est extrêmement mauvaise pour le climat. Enfin, ça dépend, pas la biomasse en général mais brûler de la biomasse dans des centrales à charbon n’est absolument pas une solution face à l’urgence climatique. Si on reconvertit au gaz, c’est également recréé un autre problème puisque le gaz est également une énergie fossile et si les centrales existantes au gaz vont pouvoir se maintenir un peu plus longtemps dans le mix énergétique que le charbon, il faut surtout pas en construire de nouvelles parce qu’on est en train de nouveau de construire dans ces cas-là des infrastructures qui vont émettre pendant des années et qui va nous falloir fermer avant leur amortissement. C’est un énorme risque qu’on prend de nous enfermer dans une trajectoire très émettrice en gaz à effet de serre.
Vous avez choisi comme angle d’attaque le charbon mais au final, vous travaillez sur toutes les énergies fossiles. J’imagine que vous essayez de sensibiliser vos interlocuteurs et interlocutrices à toutes ces problématiques-là.
Tout à fait. Le charbon, c’était stratégiquement ultra intéressant et en plus c’est très important au niveau international. C’est le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre, un énorme impact sur la santé des populations, il y a un enjeu de justice sociale et sanitaire évident aussi, et puis les banques françaises y étaient très exposées. Maintenant il est certain que si on sort du charbon pour aller faire plus d’autres énergies fossiles, ça va pas aller donc aujourd’hui, on s’attaque aux autres sujets également. L’idée aussi d’avoir dit « on va se concentrer sur le charbon au tout début », c’est de reconnaître qu’on peut pas tout faire du jour au lendemain et que si, dès 2013, nous pouvions dire qu’il faut viser une sortie totale des énergies fossiles (et ça, il faut le dire), dire, dès 2013 : « Sortez dès maintenant des énergies fossiles », on perd dans le discours et on se met nous-mêmes dans la situation dans laquelle les acteurs financiers aiment nous mettre très souvent à savoir des idéalistes, des utopistes, « Vous n’y connaissez rien, vous n’êtes tout de même pas sérieux, laissez le sujet entre les mains de gens qui savent, en costume-cravate, du haut de leurs tours de la Défense … ». Il y avait quand même un enjeu d’être très réaliste, de toujours rappeler la science climatique et la science nous dit : « on ne peut plus développer des nouveaux projets d’énergies fossiles au-delà du charbon », tout en ayant des mesures à proposer qui soient réalistes, qui soient possibles à appliquer au niveau des acteurs financiers. Car il faut le reconnaître, il y a des milliers de personnes qui travaillent dans ces institutions-là, on ne peut pas tout transformer du jour au lendemain et demander aux gens qui travaillent chez les acteurs financiers de changer leurs modes opératoires. Ca prend du temps.
On assiste depuis un an à peu près à l’émergence de nouvelles banques, des banques qui se disent éthiques. Qu’est ce que vous en pensez ? Pour vous, c’est une victoire ?
C’est une excellente nouvelle. La majorité de la population souhaite que son argent aille à la transition écologique et aujourd’hui, c’est pas le cas au niveau des grands établissements bancaires donc c’est une excellente nouvelle que d’autres se créent et je leur souhaite bonne chance et longue vie. Maintenant, il faut dans tous les cas ne pas tomber dans le travers. Je me mets à la place d’un particulier qui souhaite contribuer à la lutte contre le dérèglement climatique, aujourd’hui il suffit pas d’être un écolo exemplaire au niveau individuel, c’est pas suffisant et vous aurez beau mettre votre argent chez la bonne banque, que vous vous assurez que votre argent aille à la transition écologique, c’est très bien mais ça va prendre beaucoup trop de temps et surtout avant que ces banques-là puissent concurrencer les gros établissements de la place parisienne, on sera déjà sur les trajectoires climatiques pas du tout viables. Il faut, dans tous les cas, aller également peser sur les décisions qui vont être prises au niveau des grandes institutions financières ou, encore mieux, au niveau du régulateur, pour que le régulateur contraigne les activités des banques, des assureurs et des sociétés d’investissement. C’est vraiment quelque chose qu’il faut vraiment avoir en tête. Etre un écolo exemplaire, oui, il le faut, c’est indispensable et tant mieux si vous pouvez faire le bon choix en terme de banque ou également en termes d’investissements chez Energie partagée, chez Terre de liens etc. Par contre, il faut quand même aller pousser les BNP et les Société générale, les Crédit agricole, les AXA à faire beaucoup plus sur le climat. Il faut pas non plus tomber dans la dichotomie entre « je financerai du vert donc c’est très bien » et de l’autre côté « je finance des entreprises actives dans les énergies fossiles ». Ca va vous étonner mais en soi, moi, je n’aurai pas de problème à ce qu’on finance par Total à condition que ces financements-là soient conditionnés par l’adoption de vraies mesures de transition par Total, ce qui est aujourd’hui pas du tout le cas. Les grandes banques ou toutes les sociétés de la place de Paris veulent nous faire croire que c’est fini, il faut arrêter d’exclure, on peut plus exclure tout le monde, il va falloir accompagner la transition donc il faut aider les entreprises à se mettre en transition énergétique. C’est un beau discours mais il faut quand même reconnaître que la majorité des entreprises aujourd’hui ne sont pas intéressées par la transition et que dans « transition », il y a bien l’idée d’aller d’un point a à un point b et que les entreprises qui, elles, continuent d’ajouter du a ou qui vont dans le sens inverse en développant des nouveaux projets d’énergies fossiles, ce ne sont pas les entreprises en transition. En soi, le problème n’est pas tant d’avoir son argent chez un établissement qui finance du fossile, le problème c’est que ces financements-là ne sont pas conditionnés à un arrêt de la part des entreprises dans la construction de nouveaux projets d’énergies fossiles ni dans l’adoption de plans pour fermer les projets existants en temps et en heure pour limiter le réchauffement à 1,5 degrés.
Vous le disiez en début d’épisode, la réputation de ces établissements est très importante aussi, la perception qu’en a l’opinion publique donc ça peut aussi jouer dans la balance et on peut espérer que ça les motive à aller encore plus loin.
Oui, la réputation est extrêmement importante donc il faut interpeller sa banque et c’est vrai que si demain un client décide de passer de BNP Paribas à Hélios ou d’aller mettre son argent à la NEF, il ne faut pas le faire en catimini, il faut absolument envoyer une lettre et dire pourquoi vous partez à votre conseiller, faire remonter l’information au plus haut niveau de l’établissement parce que c’est quelque chose qui est vraiment important pour eux. Ces établissements reposent sur leurs clients et le risque de réputation finit par se payer également au niveau des salariés. Si les salariés sont démotivés ou rejettent totalement les comportements dans l’établissement pour lesquels ils travaillent, forcément ils vont être moins motivés pour faire bien leur travail et surtout dans l’avenir, ces établissements vont avoir un problème pour recruter. On le voit aujourd’hui, tous les jeunes des grandes écoles, des manifestes écologiques etc ont comme une de leurs préoccupations principales le dérèglement climatique et ils vont choisir l’établissement pour lesquels ils vont se tourner en fonction de ce qu’ils font ou ne font pas en matière climatique. Le risque réputationnel a un vrai enjeu, un vrai impact.
Vous le disiez tout à l’heure, vous avez développé différents outils pour convaincre les banques privées mais aussi les assurances, vous avez beaucoup travaillé avec les assurances, on en a pas tellement parler encore, j’ai notamment lui quelque chose sur le Coal Policy Tool, est-ce que vous pouvez nous en dire un petit peu ?
Le Coal Policy Tool, c’est un outil de notation qu’on a développé à Reclaim finance avec nos partenaires internationaux sur les politiques adoptées par les grands acteurs financiers au niveau international sur le secteur du charbon. On a déjà identifié l’intégralité des politiques qu’ont pu être adoptées par des banques, par des sociétés d’investissement, par des sociétés d’assurances sur le secteur du charbon et on a analysé, passé au peigne fin ces politiques pour comprendre ce qu’elles font et ce qu’elles ne font pas. Il y a plusieurs objectifs mais un des objectifs, c’est d’aider tout un chacun, que ce soit un particulier, un autre acteur financier ou les médias, à naviguer dans les méandres des politiques sectorielles adoptées par les acteurs financiers parce que pour les comprendre il faut vraiment s’accrocher, savoir lire les petites lignes et les notes de bas de page pour vraiment comprendre ce à quoi s’engage un acteur financier via l’adoption de ces textes-là. Un enjeu majeur est de faire comprendre qu’il ne suffit pas d’adopter une politique sur le charbon. Aujourd’hui, on a plus de 230 politiques adoptées par des acteurs financiers sur le secteur du charbon mais on en a moins d’une vingtaine qui sont assez robustes pour prévenir l’expansion du secteur et en accompagner la sortie. Il y a un énorme écart et le problème c’est que si on fait pas ce travail-là, on facilite le greenwashing ou l’idée selon laquelle un acteur qui aurait adopté une politique sur le charbon, pourrait se dire « le travail est fait, on peut passer à autre chose, tout roule », comme ce que je vous racontais tout à l’heure avec les banques françaises en 2015. Quand Blackrock a adopté une politique sur le secteur du charbon en janvier 2020, certains médias ont titré : « Blackrock sort du charbon ». Est-ce que, peut-être, Blackrock avait utilisé le mot « sortir », je ne sais pas, mais c’est pas du tout exact. Sa politique couvre 17 % de l’industrie du charbon, elle est appliquée à un tiers des activités de Blackrock donc on est très loin d’une sortie du secteur du charbon mais ça n’a pas empêché ce type de communication. Allez voir le Coal policy tool et vous verrez qu’on analyse chaque politique sur cinq critères de manière très simple avec à la fois un système chiffré de 0 à 10 pour chaque critère et un code couleur (rouge, orange…) et on comprend vite, lorsqu’on regarde Blackrock, que c’est tout rouge donc c’est vraiment pas bien. Le but aussi du Coal policy tool est de remettre de la transparence là où, aujourd’hui, il n’y en a pas, de donner les clés de compréhension à tout un chacun et puis bien entendu, ça met également en concurrence les acteurs et la concurrence est un levier majeur pour les pousser à faire plus. Nous, on pratique le « Name and shame », on dénonce le greenwashing et on joue également sur les effets de compétition entre tous les acteurs dans leur catégorie. Il faut bien les connaître pour savoir qui regarde qui, mais c’est vrai que ça permet également de pousser une institution à aller plus loin et à s’aligner sur les meilleures pratiques du secteur voire un tout petit peu au-dessus pour pouvoir dire qu’il est meilleur concurrent.
C’est aussi parce que c’est un secteur quand même assez opaque et difficile à approcher, vous le disiez, et qui fait aussi penser par exemple au secteur nucléaire pour lequel on nous dit : « Laissez faire celles et ceux qui savent ». C’est plus difficile pour nous de nous y intéresser et on a besoin d’outils assez clairs et assez faciles à lire.
La finance est souvent un sujet qu’on dit un sujet d’experts, qu’il faut laisser entre les mains des experts alors que c’est un sujet intrinsèquement politique et qu’il ne faut absolument pas le laisser qu’entre les mains des soi-disant sachants parce que ça impacte tout le monde. Il faut redonner les clés à tout à chacun pour se ré-approprier ces sujets-là et demander des comptes aux établissements à qui nous confions notre argent.
Je finirai là-dessus, est-ce que vous travaillez beaucoup avec d’autres ONG, organisations basées à l’international ? Est-ce que vous regardez ce qu’elles font et est-ce que vous échangez ?
Enormément. Nous, notre force, c’est de travailler en réseau donc on est extrêmement bien connecté au niveau international. Certains acteurs financiers le comprennent et au-delà du rapport de forces qu’on institue, il nous arrive de nous asseoir autour de la table avec un acteur financier pour l’accompagner sur l’adoption de telles politiques, sur le changement de ses pratiques et également sur les discussions qu’ils peuvent avoir avec telle ou telle entreprise. Nous, on est tellement bien connecté qu’on arrive à trouver des informations très rapidement pour faciliter ces échanges-là, pour faire du ‘fact checking’. Une entreprise va raconter une certaine histoire à son banquier et nous, on va aussi fournir au banquier d’autres lignes de lecture qui viennent directement des territoires où l’entreprise est implantée. On raccourcit les chaînes de communication et on va travailler avec plein d’acteurs différents. On va travailler avec des organisations qui sont des Think tank qui vont vraiment produire de l’analyse financière et économique, nous allons travailler avec des ONG similaires à Reclaim finance, notamment avec une organisation allemande qui s’appelle Urgewald qui, elle, a mené tout un travail sur l’industrie du charbon pour vraiment créer une base de données avec l’intégralité des entreprises du secteur du charbon et cette liste-là qui s’appelle aujourd’hui la Global Coal Exit List est utilisée par plus de 400 institutions financières au niveau international pour identifier leur exposition au charbon et adopter des politiques ; elle est également utilisée par la banque mondiale… Nous, on va faire plutôt le côté analyse des politiques, du coup on travaille très bien en binôme avec cette organisation allemande. On va travailler avec d’autres organisations plus de terrain, plus ‘grass root’, qui vont avoir un côté expertise mais également mobilisation citoyenne, par exemple les Amis de la Terre à qui nous sommes affiliés et puis on va travailler également avec les communautés, les principaux intéressés par les impacts de telle ou telle énergie sur leurs territoires.
Très bien. Il y a une question que je pose en général à mes invités c’est de savoir leur premier geste écolo. Quel a été votre premier geste écolo ? Quand est-ce que vous avez commencé à vous sensibiliser à l’écologie ?
Premier geste, aucune idée. Ce qui me vient en tête tout de suite comme premier geste écolo, c’est pas mettre mon papier dans la poubelle mais c’est aller dire à quelqu’un que je vois jeter son papier par terre qu’il y a une poubelle à 10 mètres et qu’ils peuvent le mettre dans cette poubelle à 10 mètres. Je pense que je resterai là-dessus parce que c’est ça aussi l’écologie. Encore une fois, c’est pas seulement s’assurer qu’on est un écolo parfait le dimanche, c’est aussi jouer son rôle dans la cité pour, à son niveau haut comme trois pommes, juste aller voir la dame un peu plus loin pour lui dire que ça se fait pas et au haut niveau plus structurel, s’intéresser aux décisions économiques et politiques de nos grandes institutions et de nos grandes multinationales.
Merci beaucoup, Lucie Pinson, c’était très intéressant. A bientôt !
Merci !