Cette semaine, je reçois Nicolas Debaisieux, directeur général de Railcoop, première coopérative ferroviaire de France . En décembre 2020, le monopole qu’avait la SNCF jusqu’à présent touchera à sa fin et le réseau ferroviaire français sera enfin ouvert à la concurrence. C’est dans ce contexte que Railcoop proposera des lignes inter région dès 2022 et réhabilitera des lignes de fret à compter de 2021. Dans cet épisode, Nicolas nous raconte comment sa coopérative compte agir pour concurrencer non pas la SNCF directement mais plutôt proposer une offre complémentaire à la voiture et au covoiturage. Le sujet des transports ferroviaires peut paraître complexe et difficile à appréhender néanmoins je vous garantis que dans cet épisode Nicolas clarifie et définit tous les termes techniques afin que nous puissions comprendre les enjeux que soulève un tel projet. J’espère que cet épisode vous plaira. Bonne écoute à tous !

– Bonjour

– Bonjour

– Comment allez-vous ?

– Bien

– Une journée intense, on disait avant de commencer l’enregistrement …

– Oui, une journée très chargée mais ça prend du temps de créer une nouvelle entreprise ferroviaire. C’est la journée habituelle.

– On va en parler… donc vous êtes Nicolas de Railcoop, est-ce que vous pouvez vous présenter, s’il vous plaît, un peu plus précisément ?

– Je suis Nicolas, je suis actuellement le directeur général de Railcoop. Je suis un ancien fonctionnaire du ministère de la transition écologique. Je ne suis pas du tout issu du monde ferroviaire. Mon prisme, c’est vraiment voir comment on arrive à lutter contre le dérèglement climatique et c’est comme ça que j’en suis venu au ferroviaire et a monté le premier opérateur ferroviaire coopératif d’Europe a priori.

– Je pense… J’aimerais que l’on précise pour les auditeurs un petit peu ce qu’il en est, actuellement, en France, de la situation du secteur ferroviaire. Il y a un monopole de la SNCF pour l’instant. Est-ce que vous pouvez juste nous dresser un petit tableau pour qu’après ce soit plus simple ?

– Aujourd’hui, ce qu’il faut bien comprendre, c’est que quand on parle de la SNCF, il y a plusieurs SNCF. Il y a SNCF réseau qui gère le réseau donc les rails et il y a SNCF Voyageur et Fret SNCF. Il y a un certain nombre d’entreprises qui font partie de la galaxie SNCF mais qui font circuler les trains. A partir de décembre de cette année, décembre 2020, il va y avoir une ouverture du marché c’est-à-dire que le réseau va rester propriété de la SNCF mais quiconque voudra utiliser le réseau, quiconque voudra faire circuler des trains pourra le faire sur la partie Fret et Voyageurs. Le Fret est libéralisé depuis plusieurs années maintenant mais ce qui est nouveau, c’est qu’à partir de décembre, le Voyageur sera également libéralisé donc on pourra faire circuler des trains de voyageurs par d’autres opérateurs que la SNCF.

– On a beaucoup parlé d’entreprises étrangères qui seraient intéressées pour concurrencer la SNCF, vous c’est pas du tout le cas. Pourquoi est-ce que l’on parle davantage de ces entreprises étrangères ? Pourquoi, déjà, on part du postulat que ce sont des entreprises étrangères qui vont s’y intéresser ?

– Ca va pas être que des entreprises étrangères. Je pense à Transdev, je pense à RATP qui vont venir sur des marchés qui sont aujourd’hui détenus par la SNCF. On parle beaucoup des grandes entreprises parce que, pour se lancer dans le ferroviaire, il faut des capitaux importants, alors je vais être un peu plus précis, pour se lancer sur la grande vitesse ferroviaire, pour faire rouler des TGV, il faut des capitaux importants et donc c’est pour ça qu’on parle principalement de Thello, de Renfe une société espagnole, on parle aussi de Deutsche Bahn, donc d’entreprises qui vont investir sur des segments de marché qui sont principalement le TGV. Nous, on n’a pas ce positionnement-là. On a un positionnement différent, c’est de faire du train classique, de faire des grandes lignes quand même mais en train classique, moins rapide. On va s’appuyer sur des infrastructures qui coûtent moins cher, sur du matériel qui coûte moins cher. On est pas tout à fait sur le même marché et puis pour être honnête, aujourd’hui, nous, on a été créé il y a moins d’un an donc on est tout petit. On n’est pas encore formellement entreprise ferroviaire puisque on n’a pas notre licence d’entreprise ferroviaire qu’on aura prochainement. Aujourd’hui, on est vraiment comme le disait une journaliste il y a quelque temps, un petit poucet du ferroviaire donc c’est normal que dans un premier temps on parle des grands acteurs mais je vous rassure, on va parler beaucoup de nous prochainement.

– J’espère. Comment est-ce que ça se passe dans les pays limitrophes ? Est-ce que c’est le même système avec ce système de monopole ou au contraire c’est complètement ouvert ?

  • Il y a plusieurs modèles qui existent. Au Royaume-Uni, c’est assez intéressant. L’exemple du Royaume-Uni est souvent décrié parce qu’effectivement la libéralisation  du rail a été très, très brutale. Ils ont à la fois libéralisé l’infrastructure mais en même temps ils ont complètement démantelé British rail. Il y a vraiment eu une démarche de démantèlement très, très poussée. Mais ils en sont revenus progressivement, ce qui fait qu’aujourd’hui le Royaume-Uni, c’est le pays européen où le ferroviaire se développe le plus. C’est  assez intéressant de voir qu’ils sont allés très loin et que maintenant ils sont en train de revenir avec des choses un peu plus hybrides donc c’est intéressant. Il y a d’autres modèles par exemple le modèle qu’on cite souvent c’est le modèle allemand où il y a eu une implication très forte des autorités locales notamment des Lânder pour développer le train et c’est vrai qu’il y a une belle croissance du trafic en Allemagne qui est un peu le modèle que certains acteurs du ferroviaire voudraient voir émerger en France. Moi souvent je dis « attention, prudence » parce qu’en Allemagne, la part modale du ferroviaire et le nombre de passagers qui prennent le train est inférieur à la part française donc le fonctionnement de la SNCF en tant qu’établissement public globalement a fait ses preuves. Il faut être assez vigilant quand on parle d’ouverture encadrée par la puissance publique dans notre pays. Et il y a des pays où tout simplement c’est pas ouvert, je pense à la Suisse. Enfin c’est pas ouvert, je mets des guillemets parce que c’est pas si simple que ça, il y a d’autres acteurs, mais il y a une vraie intégration entre le réseau, l’entreprise ferroviaire. Il y a une diversité de modèles La tendance forte, c’est quand même une dissociation entre les gestionnaires de réseau donc entre le réseau et ceux qui font rouler les trains. C’est une tendance assez lourde qu’on retrouve partout en Europe.
  • Vous avec Railcoop, l’idée ce serait non pas gestionnaire du réseau mais de faire circuler des trains

– Voilà, c’est ça. Nous c’est vraiment d’aller on s’occupe de la gestion de l’infrastructure , c’est SNCF réseau qui en a la gestion. Nous, c’est de faire circuler des trains mais pas n’importe quel train. Déjà nous, on est une entreprise ferroviaire et ça c’est important de  le souligner, c’est qu’on est pas une entreprise de mobilité. Notre job, c’est pas d’emmener les gens d’un point A à un point B par n’importe quel mode. Notre job, c’est de faire rouler des trains pour répondre à un besoin, à une demande des gens qui est d’avoir un service ferroviaire et ça, c’est fondamental parce que aujourd’hui en France on est la seule entreprise ferroviaire donc l’unique mission est de faire du ferroviaire. Nous c’est d’aller voir justement là où le ferroviaire n’est pas actuellement, là où il y a des lignes qui ne sont plus exploitées mais qui pourraient être économiquement viables parce qu’on se positionne sur du marché non conventionné donc non subventionné. On est vraiment sur le marché libre pour assurer la pérennité du système et donc nous, notre job, ça va être d’aller sur ces lignes qui, pour diverses raisons, soit parce qu’il y a les jeux d’acteurs par exemple si on est sur des liaisons interrégionales, ça répond pas aux compétences d’une région forcément puisqu’on est sur plusieurs régions, soit parce qu’on est sur des marchés qui sont des marchés moyennement rentables, qui sont économiquement viables mais pas avec des marges qui sont trop importantes et donc ils vont pas intéresser des entreprises financières classiques. Nous, on va aller se positionner sur tous ces marchés-là pour re-développer du ferroviaire sur les territoires.

  • Je me demandais comment vous pouviez savoir qu’il existe une demande s’il n’y a aucun acteur sur ces routes-là, on peut se dire que c’est parce que finalement il y a pas de demande.
  • Il y a des demandes parce qu’il y a des demandes de transport. Ce qu’on a analysé, nous, c’est l’évolution de la demande de transport et ensuite on est parti de l’hypothèse qu’on allait pouvoir faire basculer des gens notamment de la route vers le train et donc notamment c’est vrai pour le Bordeaux-Lyon, c’est vrai aussi pour les autres lignes. Sur le Bordeaux-Lyon, à peu près 80 % de notre clientèle, c’est des personnes qui prendraient soit leur voiture, soit qui feraient du covoiturage ou qui prendraient des bus.
  • Donc vous êtes davantage en concurrence avec la voiture
  • Oui, on est en concurrence avec la voiture. C’est pareil, en tous cas sur les services de jour, on n’est pas en concurrence avec l’avion paradoxalement parce qu’on est sur des temps de parcours qui sont plus longs. Le parti pris qu’on a c’est de se dire : on va vraiment créer un modèle qui va faire que les gens vont arrêter de prendre leur voiture donc ça veut dire qu’il y a des services à bord et enfin toute une réflexion sur  l’écosystème qui est nécessaire pour que les gens arrêtent de prendre la voiture et c’est vraiment ça le cœur du modèle de Railcoop.
  • Comment est née cette idée ? Comment est-ce qu’on se réveille un matin en se disant « ok je vais lancer une entreprise et acheter des trains » concrètement ?
  • Alors on s’est pas réveillé un matin en se disant qu’on allait le faire !
  • Je me doute bien !
  • Ca ne s’est pas passé comme ça. Ca a été une lente maturation. Il y a eu plusieurs origines à ce projet et à un moment donné, les choses se sont cristallisées. L’une des origines, c’est un collectif dans le Lot qui s’appelle Quercy rail et qui avait pour mission de faire circuler des trains sur une voie qui était fermée. Ils voulaient faire circuler un train touristique. Il y avait une réflexion : « De toute façon, ce sera jamais viable. Sur ces territoires, c’est pas possible donc en gros la seule solution c’est de déferrer ». Il y avait ce collectif qui disait : « Non, on voit bien qu’il y a un besoin. Il y a un besoin de mobilité et tout simplement pas d’alternative à la voiture donc c’est idiot de se priver de cette infrastructure. » Ca, c’est l’une des origines. L’autre origine, c’est une origine plus de l’économie sociale et solidaire où il y a des gens dans la coopérative qui se sont dit  que le modèle économique de la plupart des entreprises aujourd’hui devait être questionné. On le voit dans le domaine de l’énergie avec Enercoop, dans le domaine de l’alimentation avec Biocoop… Sur un bien essentiel tel que le ferroviaire, ce modèle n’est pas questionné. On voit bien que l’ouverture à la concurrence qui arrive va faire perdre un peu de sens au modèle ferroviaire. Quand on était dans le cadre d’un établissement public, d’un service public ferroviaire, finalement il n’y avait pas forcément besoin d’implication citoyenne et de ce modèle coopératif. A partir du moment où on change le modèle et on est sur un modèle beaucoup plus ouvert, beaucoup plus libéral, on se dit qu’il y a peut-être besoin d’acteurs comme des coopératives qui émergent dans ce panorama. Il y avait ce prisme-là et puis il y avait le troisième angle d’attaque et c’est un peu comme ça que je suis venu sur le projet, c’était se dire qu’on a tout simplement pas le choix dans le cadre de la transition écologique en cours. Si on veut vraiment réduire de façon drastique les émissions de gaz à effet de serre, il ne faut pas se projeter dans des technologies qu’on pourrait voir à 30, 40 ou 50 ans, il faut simplement utiliser ce qu’on a. Le ferroviaire est là, on sait l’utiliser, il est beaucoup plus efficace et simplement renforcer l’usage du train va considérablement réduire les émissions de gaz à effet de serre. Et tout ça, à un moment donné, cette réflexion sur le renforcement de l’usage du train, comment on fait pour que les gens prennent davantage le train, comment on a fait circuler des trains sur des voies qui ne sont plus exploitées, comment on intègre un nouveau modèle économique là-dedans, à un moment donné, ça a pris forme et ça a pris la forme de Railcoop.
  • Qui est donc une coopérative…
  • Qui est une société coopérative d’intérêt collectif
  • Est-ce que vous pouvez expliquer ?
  • Tous les mots ont leur importance. On a une société donc on est une société anonyme à capital variable.
  • Donc vous recherchez le profit.
  • Nous, on recherche le profit. On va se positionner sur des lignes qui sont rentables, on vise une viabilité économique, on a une société soumise aux droits des sociétés. La différence, c’est qu’on est une société d’intérêt collectif, ça veut dire que le profit qu’on va générer, tous les bénéfices qu’on va générer doivent rester dans l’entreprise pour développer la mission d’entreprise, ça peut pas servir à rémunérer nos sociétaires. D’ailleurs, nos actionnaires, on les appelle des sociétaires. Ca doit être réinvesti pour un objet social et l’objet social, c’est de développer le ferroviaire. La vocation, c’est de créer de la richesse mais pas comme ça hors sol, c’est de créer de la richesse pour contribuer à un projet. Et on est société coopérative d’intérêt collectif, ça veut dire que le capital, l’entreprise est ouvert à tous. Quiconque souhaite à un moment donné participer à ce projet peut devenir sociétaire de la coopérative et selon un principe c’est que une personne égale une voix. Qu’on achète une part, qu’on en achète 100, qu’on en achète 200 de toute façon on aura le même poids au sein de la coopérative. Pourquoi il y a ça ? C’est pour permettre en fait à chacun d’exprimer et de partager la vision qu’ils peuvent avoir du ferroviaire. Ca doit vraiment générer l’intelligence collective et de voir comment on arrive à innover tout simplement.
  • Pour avoir des sociétaires, comment vous vous y êtes pris ? Vous avez lancé un appel  ? Comment ça s’est fait ?
  • Alors ça s’est fait de manière assez naturelle puisqu’on a communiqué sur les réseaux sociaux notamment. Quand on a créé Railcoop, on était 32 exactement. Aujourd’hui on approche les 2100 sociétaires. En un peu plus de 6 mois, on a quasiment multiplié par 100, pas tout à fait, le nombre de sociétaires tout simplement parce qu’on a constaté qu’en fait ce projet-là était extrêmement fédérateur. Tous ceux qui avaient envie de défendre le ferroviaire, tous ceux qui avaient envie d’avoir de nouveaux modèles économiques, qui considéraient qu’on pouvait participer activement à la transition écologique nous rejoignent et tous les jours, on a de plus en plus de sociétaires qui nous rejoignent. Donc ça c’est fait très, très naturellement.
  • C’est nécessairement des sociétaires engagés puisque, je préfère le re-préciser pour les auditeurs, on ne peut pas revendre ses parts plus chères qu’on les a achetées donc ça ne peut pas être un placement financier.
  • Non, tout à fait, vous avez raison de le préciser. Dans une société coopérative d’intérêt collectif, quand vous achetez une part à 100 euros, si vous quittez la coopérative, vous ne partagez plus les valeurs, la coopérative vous rembourse la part à 100 euros sous réserve effectivement qu’entre-temps la société n’ait pas fait faillite. Mais si tout va bien, vous n’avez pas la possibilité de spéculer. C’est extrêmement important, comme il n’y a pas la possibilité spéculer, il n’y a pas la possibilité de perdre notre indépendance : personne ne peut dire « ben voilà moi j’achète 51 % des parts et puis maintenant c’est fini, on arrête la coopérative, on passe à un modèle classique. » Ca, c’est pas possible il y a pas de prise de contrôle possible.
  • C’est très intéressant comme modèle, je trouve, surtout sur ces problématiques qui sont hyper importantes à une échelle nationale. Pour le matériel, comment ça se passe ? Ca a été validé ? Vous aviez déposer à l’autorité de régulation des transports, c’est ça ?
  • Oui, on a demandé l’autorisation. Pour aller sur le marché libre, on a le droit de faire les lignes qu’on veut à condition que l’on ne vienne pas en concurrence avec un service public. C’est logique et donc l’autorité de régulation de transport a validé nos lignes en disant qu’on était pas en concurrence avec un service public.
  • L’une des lignes que vous mettez beaucoup en avant c’est Bordeaux-Lyon mais après comment ça se passe pour le matériel ? Est-ce que vous, vous avez des trains déjà  ?Vous avez des pistes ?
  • Alors ça, c’est le gros sujet qu’on est en train de traiter actuellement. On est en discussion avec Alstom pour l’achat de matériel. Les discussions sont en cours, on va voir ces prochains mois…
  • Que ce soit votre société qui achète ?
  • Alors non, on ne va pas les acheter directement. On définit ce qu’on veut comme matériel puisqu‘on aura un certain nombre de services à bord. On va définir ce qu’on veut, par contre on va faire appel à un loueur, à une société spécialisée qui va les acheter à notre place, qui va assumer le risque financier donc ils vont investir dans le matériel et ensuite ils vont nous louer le matériel. Et puis, ils ne vont pas faire que nous louer le matériel, ils vont assurer la relation avec la maintenance. Nous, on va « se contenter » d’avoir du matériel qui roule et après tout le volet gestion de la maintenance, financement etc c’est externalisé à des sociétés spécialisées.

– Est-ce qu’il y a un minimum de trains à acheter ou louer pour pouvoir bien s’implémenter sur le réseau ?

  • Alors oui, pour le Bordeaux-Lyon, on est sur 6 rames qui nous permettraient de faire 3 allers/retours quotidiens.
  • Pour une durée de combien de temps de trajet ?
  • Le trajet c’est un peu moins de 7h. Nous, on avait calculé 6h47 de temps de parcours. On est en discussion avec SNCF réseau puisqu’il y a un certain nombre de contraintes réglementaires qui fait que, pour l’instant, SNCF réseau est sur un temps de parcours de 7h10 dans ce qu’ils nous proposent et donc il y a une discussion, on aboutira probablement entre les deux, vers 7h. Je ne peux pas vous dire exactement.Une de vos volontés, c’est aussi de décentraliser le système ferroviaire français où on a quand même souvent besoin de se déplacer à Paris. Vous et moi, on vit en région et c’est très compliqué pour se rejoindre à d’autres endroits
  • Vous toucher le cœur du positionnement de Railcoop. Notre constat, ça a été aussi de se dire : « nous, on va pas être en concurrence avec la SNCF avec les TGV de la SNCF, on va pas être en concurrence avec les trains régionaux. » Nous, notre volonté, c’est vraiment d’aller là où il y a marché potentiel et où ce marché n’est pas adressé. Dans les études qu’on a faites, on s’est rendu compte qu’il y avait plein de liaisons directes inter-régionales qui aujourd’hui n’étaient pas assurées par le train alors même qu’elles ont un fort potentiel. Depuis maintenant, on va dire 20-30 ans, il y a un déplacement de la population française. Les régions de l’arc Atlantique et du Sud-Est de la France sont des régions qui sont très dynamiques démographiquement et économiquement et donc il y a une modification des flux. Or, le réseau ferré français reste, comme vous l’avez dit, centré sur Paris et donc il y a énormément de flux province-province. C’est le cas du Bordeaux-Lyon mais c’est le cas aussi du Toulouse-Rennes par exemple qu’on a notifié qui, aujourd’hui, n’ont pas de connexions directes  par le train. Nous, notre objectif c’est de reconnecter justement, de refaire des liaisons directes par le train entre ces territoires.
  • Pour y parvenir vous avez besoin d’un certain capital financier ? Combien de sociétaires  est-ce que vous visez ? Quelle somme est-ce que vous visez ?
  • On a besoin d’un capital social d’1,5 million d’euros pour avoir la licence d’entreprise ferroviaire voyageur.
  • D’accord
  • Ca, c’est le seuil minimal
  • Une licence qui est accordée par qui ?
  • Qui est accordée par le ministère de la transition écologique. Actuellement, on est à peu près à 630 000 € de capital social et donc en gros il nous manque à peu près 900 000 €. J’ai bon espoir qu’on les atteigne parce qu’on a un certain nombre de collectivités locales qui vont nous rejoindre. C’est aussi l’un des avantages de la société coopérative, c’est qu’on peut avoir des communes, des communautés de communes qui nous rejoignent et qui prennent part à la coopérative. Nous, il nous faut un minimum d’1,5 million, après ce 1,5 million de capital social, il n’est pas suffisant pour démarrer l’activité. On est sur une enveloppe à peu près de 5 millions d’euros, ça dépend d’un  certain nombre de conditions mais on va partir sur les 5 millions d’euros. Ces 5 millions d’euros peuvent venir de différentes sources soit effectivement par un renforcement du capital social, donc plus on sera de sociétaires, moins on sera obligé d’aller vers d’autres instruments de financement de type les obligations, du prêt bancaire, d’autres financements classiques. Ce qu’il faut bien comprendre c’est que la ligne est économiquement viable mais il y a énormément de coût d’engineering en amont pour lancer la ligne : il faut former les conducteurs, il faut faire des avances sur le matériel, il faut payer en avance les redevances qu’on va payer à SNCF Réseau pour utiliser le réseau, il y a des systèmes d’information à développer donc plein de choses qui doivent être faites en amont et c’est pour ça qu’on a besoin de ce financement en amont pour pouvoir lancer la première ligne. Une fois que la première ligne sera lancée, on pourra engendrer des bénéfices qui vont nous permettre de continuer et de lancer d’autres lignes.
  • Vous aimeriez lancer cette première ligne quand ?
  • L’objectif, c’est juin 2022 pour les voyageurs. On va démarrer dès l’an prochain une liaison fret entre Figeac (le siège de l’entreprise est à Figeac) et Toulouse qui va nous servir sur deux choses. La première, c’est que ça va nous permettre un peu de nous roder sur les opérations ferroviaires, ça va nous permettre de vérifier nos processus, voir si tout va bien et de pouvoir être pleinement opérationnel au moment du lancement voyageur. La deuxième chose, c’est qu’on souhaite mener une expérimentation un peu particulière entre Figeac et Toulouse puisqu’on souhaite avoir une desserte de fret régulière. On n’est pas sur le modèle classique du fret. Aujourd’hui, les entreprises de fret ferroviaire vont chercher des clients et une fois que le client a validé, ils mettent en place un train. Nous, on va mettre en place le train, on va offrir une capacité et on prend un risque, un risque mesuré quand même, on va pas juste mettre le train comme ça, mais on met en train et on part du principe que l’offre va créer la demande et ensuite on va avoir une démarche commerciale. On aura cette liaison régulière entre Figeac et Toulouse parce que c’est important pour nous aussi de voir comment on arrive à reconnecter un certain nombre de territoires au fret ferroviaire.
  • Aujourd’hui cette liaison pour le fret, elle s’opère comment ? Plutôt en camion ?
  • Exclusivement par camion. Sur le bassin d’emploi Nord-Aveyron/Est du Lot, il n’y a plus du tout de service ferroviaire fret donc c’est exclusivement des camions.
  • Il n’y plus du tout de trains qui circulent ..
  • Plus du tout. Il y a les lignes mais il n’y a plus de trains.  
  • Donc toutes les entreprises et tous ceux qui ont besoin du fret devraient être intéressés assez facilement…
  • Oui mais c’est pas si simple que ça parce que il y a des habitudes qui sont prises. C’est pas facile la conduite du changement. Culturellement, il faut comprendre pourquoi le fret a disparu de ces territoires et qu’il a disparu aussi parce que la qualité du service qui était fournie aux entreprises sur les territoires n’était pas suffisante et donc nous aujourd’hui quand on va rencontrer des entreprises en disant « On va refaire revenir du train. », ils disent « Merci mais nous, on en a soupé, on en veut pas ! ». Il y a un volet pour expliquer qu’on n’est pas dans la même logique, on est dans une logique de fiabilité, on est dans une logique de régularité donc tout ça il faut le ré-expliquer. La ligne Figeac-Toulouse, c’est une petite ligne, elle fait 130 km, on fait l’aller-retour dans la journée mais cette ligne-là pour l’instant elle n’est pas viable économiquement. On prend le risque d’aller là-dessus parce que ça va nous servir pour nous former et tester un certain nombre de principes organisationnels qu’on va ensuite appliquer sur le Bordeaux-Lyon, où là il y a des enjeux plus importants. L’autre dimension, c’est que si on réussit, ça peut être aussi un modèle qu’on pourra dupliquer, qu’on pourra développer. C’est une expérimentation qui nous sert à la fois pour innover et à la fois pour renforcer nos compétences.
  • C’est ambitieux. Si on retourne sur le transport de voyageurs, au niveau des tarifs pour les voyageurs, c’est souvent un des points aussi très critiqués de la SNCF, c’est que c’est quand même assez onéreux et que ça ne démocratise pas du tout les transports en train. Vous, est-ce que vous pourriez proposer des tarifs plus intéressants ? Est-ce que vous avez déjà une idée ou pas du tout ?
  • Oui, notre modèle économique est basé sur un alignement avec le covoiturage.
  • D’accord !
  • Dans le ferroviaire, souvent, on conçoit le service en faisant la somme des coûts d’exploitation et ensuite on fixe le prix. Nous, on est parti du principe inverse, on s’est dit  : « voilà aujourd’hui on va fixer un prix pour le trajet Bordeaux-Lyon qui est à peu près de 38 € et comment on fait pour avoir une organisation industrielle qui nous permette d’être viable à ce niveau de prix ? ». Alors, pour être clair, 38 € c’est le prix d’accès et  on ne sera pas dans le lead management avec des prix qui varient d’une minute à l’autre, c’est pas l’objet. Les demandes qui nous ont été remontées pour la clientèle business, c’est d’avoir des espaces isolés qui permettent de travailler de façon confidentielle sur les dossiers, d’être en capacité de passer des appels de manière un peu isolé et pas forcément quand on est dans la grande salle partagée avec tout le monde, de travailler sur des dossiers où on sait qu’il y a personne qui va nous regarder derrière sur l’écran d’ordinateur, des trucs tout bêtes. Du coup, pour les aménagements qu’on a demandé par exemple à Alstom c’est d’avoir des cabines individuelles pour la clientèle business. Forcément les cabines individuelles pour la clientèle business, elles ne seront pas à 38 euros. Il y a un certain nombre de choses comme ça, le fait de pouvoir transporter des vélos, c’est de la valeur supplémentaire  donc il y a des services supplémentaires qui vont contribuer à l’équilibre économique. Mais pour un voyageur qui voudrait juste faire le Bordeaux-Lyon sans aucun service additionnel, il pourra payer le prix du covoiturage avec juste sa valise.
  • Ca restera un train classique avec une voiture-bar ?
  • Alors il n’y aura pas de voiture-bar, il y aura un compartiment de services à bord du train et le parti pris qu’on a fait c’est de travailler vraiment en synergie avec les territoires. Il n’y aura pas de voiture-bar, par contre il y aura la possibilité à bord de commander notamment des repas auprès de restaurateurs qui sont situés le long de la ligne. Par exemple, si vous arrivez à Limoges et vous connaissez un bon petit resto à Limoges, vous pourrez commander à bord un plat de votre restaurant et il vous sera livré au moment où le train arrivera en gare. C’est ce genre de services qu’on fait. Après s’il n’y a pas de voiture-bar, il n’y a pas de possibilité d’aller au comptoir donc à la place, on aura un service de boissons mais l’idée, c’était vraiment de travailler sur la qualité, sur les produits qu’on peut apporter et pas juste d’avoir un trolley qui passe avec un sandwich sous « cellofrais ».
  • Et de soutenir aussi des initiatives locales tout au long de la ligne…
  • Exactement, tout à fait. Travailler en partenariat avec tout un écosystème, c’est vraiment l’approche, voir comment ces lignes qu’on va développées servent le territoire. Comment le fait de construire un écosystème qui va au-delà de la simple desserte, au-delà du simple fait de transporter des gens, va créer de la valeur pour le territoire.
  • Le redynamiser. Pour acheter les billets de train, est-ce que ce sera sur la même plateforme ?
  • Oui, vous pourrez acheter des billets Railcoop – alors sous réserve effectivement qu’il y ait des accords de partenariat qui soient établis – mais normalement toutes les agences de voyage et ouisncf est une agence de voyage seront en mesure de vendre nos billets de train. C’est la question qu’on nous pose : est-ce que sur Ouisncf on pourra trouver des billets Railcoop ? Normalement oui, mais les accords ne sont pas encore mis en place donc je ne peux pas vous dire que ce sera le cas. Je m’avance peut-être un petit peu mais si la SNCF n’autorisait pas la vente de billets autres que ceux de la SNCF sur son site, ça pourrait être interprété comme une entrave à l’ouverture du marché et donc je pense qu’il y a des sources de contentieux derrière très fortes. Nous, ce sera pareil sur notre site, il y aura possibilité aussi d’acheter des billets pour d’autres compagnies.
  • Ca va vraiment révolutionner le transport ferroviaire en France parce qu’on n’a pas du tout l’habitude. Nous, on a grandi avec Voyages-SNCF maintenant Ouisncf…
  • Toutes les générations qui sont nées après les années 2000 ont perdu cette culture du train. Il y a beaucoup de gens, aujourd’hui en région, qui n’ont jamais pris le train, tout simplement. Aujourd’hui, il y a beaucoup de jeunes de 15 ans qui n’ont pas cette connaissance du train. Ca interpelle parce qu’il y a eu une disparition considérable du service. Moi je me rappelle quand j’étais jeune, on ne se posait pas la question
  • C’était normal. Je me souviens même des compartiments fumeurs, un enfer à traverser…
  • On a tous des souvenirs du train. Il y a toute une culture, il y a tout un imaginaire
  • On n’a pas parlé des trains de nuit, mais je sais que c’est aussi dans les tuyaux et que c’est quelque chose que vous aimeriez réaliser.
  • Exactement. Sur les trains de nuit, il y a aussi un problème de matériel, il y a très, très peu de matériel disponible. Il y a des problèmes d’homologation du matériel en France. Ce sera pour plus tard mais on est en train de regarder. On verra ce qu’on peut faire sur cette question mais c’est un vrai sujet, les trains de nuit parce que ça fait partie de ces marchés qui existent et qui aujourd’hui ne sont pas exploités.
  • Les trains de nuit, c’est un sujet dont on parle beaucoup en ce moment, même en politique, donc espérons que ça bouge un peu plus vite que prévu et donc pour les auditeurs qui écoute s’ils ont envie de rejoindre l’aventure Railcoop, comment est-ce qu’il faut faire ?
  • Il suffit juste d’aller sur notre site internet et là, il y a la rubrique « devenir sociétaire ». Ensuite, il suffit de se laisser guider. Il y a plusieurs étapes, c’est un processus qui est cadré, on doit notifier ces éléments à l’autorité des marchés financiers pour être en capacité de le faire en direct, c’était important aussi qu’on puisse avoir un accès direct. Donc il suffit d’aller sur notre site et vous verrez, vous allez parcourir tout le processus pour devenir sociétaire et rejoindre l’aventure Railcoop.
  • Merci beaucoup, Nicolas. C’était très intéressant !
  • Merci à vous.
  • Et puis à la prochaine !
  • A la prochaine !

Et voilà cet épisode est déjà terminé et j’espère qu’il vous aura plu. Si vous souhaitez obtenir plus de renseignements sur Railcoop, je vous indiquerai tous les liens utiles en barre de description. J’espère que cet échange avec Nicolas vous aura permis de découvrir une nouvelle initiative. Si la thématique du voyage vous intéresse, je vous conseille d’écouter l’épisode enregistré l’année dernière avec Céline Séris qui a voyagé jusqu’en Thaïlande en prenant uniquement le train. Le lien sera lui aussi indiqué en barre d’info. Je vous donne rendez-vous jeudi prochain et d’ici là, prenez soin de vous. A bientôt !