Cette semaine, je reçois Hind Bennis, créatrice de la marque de chaussons pour enfants HOB. C’est à la naissance de son premier enfant qu’Hind a eu envie de concevoir des chaussons souples, en cuir, au tannage végétal. Dans cet épisode, Hind nous raconte comment est née cette aventure et nous explique les relations qu’elle a tissées avec les artisanes marocaines et l’importance de privilégier ces savoir-faire. Nous parlons également d’appropriation culturelle et des enjeux que cela représente. Un épisode riche qui, je l’espère, vous plaira. Compte tenu des circonstances actuelles, nous avons été contraintes d’enregistrer cet épisode à distance. Bonne écoute à toutes et à tous !

Bonjour Hind !

Bonjour Jeane !

Comment vas-tu ?

Ca va très bien, je te remercie. Et toi ?

Ca va très bien aussi. Je suis vraiment ravie de te recevoir au micro de Basilic. On échange depuis un moment maintenant. Malheureusement, on ne pourra pas se rencontrer en vrai mais on va le faire à distance. C’est pas grave, l’important c’est de parler de ton projet que tu mènes avec brio depuis plusieurs années qui s’appelle HOB. On va détailler tout ça… Mais d’abord dans un premier temps, tu pourrais commencer par te présenter pour les auditeurs et les auditrices.

Merci Jeane de me donner l’opportunité de m’exprimer à ton micro. Je suis ravie. Alors je m’appelle Hind, je suis mariée, j’ai deux enfants dont un tout-petit. Je suis à la tête d’une société de fabrication de maroquinerie dans une première vie depuis une dizaine d’années et j’ai créé la marque un petit peu après la naissance de mon aîné donc il y a maintenant quatre ans. Il y a Samia, mon associée qui m’a rejointe il y a quelques temps pour continuer le développement de HOB, notamment à l’étranger, précisément en France puis en Europe, bien sûr. Passionnée par la mer, passionnée aussi par les animaux et aussi par l’écologie, ça en découle un petit peu.

On va y venir justement puisqu’il y a une question que je pose à tous mes invités ou presque, c’est de connaître leur premier geste écolo soit quand ils étaient enfants, soit adolescents, soit jeunes adultes… Le premier geste écolo dont tu te souviennes ?

Pour moi, c’est quelque chose d’écologique, on a toujours donné nos vêtements. Nos parents, depuis tout petits, nous demandaient de trier nos vêtements et nos jouets à chaque saison pour les donner à des enfants qui avaient moins de jouets, de vêtements et qui étaient dans le besoin. On a toujours fait ça avec nos parents depuis tout petits.

Tu avais déjà initié cette démarche de la réutilisation, du recyclage, du don qui est finalement un geste écolo très important et qu’on a eu tendance à oublier.

Au Maroc, je pense que ça doit se faire en France aussi, on a tendance à beaucoup se donner les vêtements entre cousins, entre amis. Des vêtements qui sont peu utilisés, qui sont encore beaux, on les donne à quelqu’un qui attend un bébé pour qu’elle les utilise. Ca se fait beaucoup et dernièrement, j’ai récupéré des vêtements de moi toute petite qui avaient fait un peu le tour des familles. C’est rigolo !

Comment est née l’idée de créer HOB ? Comment est-ce que ça t’est venu ? Tu disais que tu travaillais dans le secteur textile avant.

Je suis fabricante de maroquinerie pour des marques européennes depuis une dizaine d’années. C’était le métier de mon papa donc on a baigné dedans depuis tout petit. J’ai toujours fait attention à ce que je mettais à mon fils comme vêtement donc je cherchais déjà à l’époque des vêtements Oeko-Tex, des choses comme ça pour éviter les allergies. La peau d’un bébé, c’est quand même super sensible et fragile. Quand j’ai voulu le chausser, je suis allée dans le magasin où j’allais habituellement et j’ai trouvé que des chaussures qui étaient rigides alors que mon bébé était petit, ça me paraissait un peu bizarre. Je trouvais que ça ne correspondait pas à son âge : les pieds sont encore tout mous, ça me faisait bizarre de lui mettre ça, il ne marchait pas encore et surtout j’ai remarqué qu’ils étaient fabriqués dans des pays type Bangladesh. Pour moi en tout cas, ce n’est pas forcément un reflet de sécurité et de matériaux sélectionnés avec transparence. J’avais demandé à mes fournisseurs de cuir, puisque je travaillais avec des fournisseurs de cuir, de m’envoyer des petits morceaux de cuir à tannage végétal. Je me suis dit « tiens, je vais lui coudre des petits chaussons pour voir ce que ça donne et je vais lui mettre parce qu’au moins je sais d’où ça vient ». A l’époque, il mettait beaucoup de choses dans la bouche et j’étais super inquiète de me dire qu’il y mettait des choses toxiques. Ca a commencé comme ça : les premiers morceaux de cuir me sont arrivés, on a commencé à coudre les premiers chaussons. J’avais regardé à l’époque des tutos, des choses comme ça. On a cousu des petits chaussons et de fil en aiguille, toutes mes amies étant plus ou moins dans la même période que moi, avec des petits nourrissons ou des enfants un peu petits, elles ont commencé à dire : « Nous, on n’en trouve pas, tu peux nous en faire ? ». J’en ai fait un, deux pour des amis comme ça, à droite à gauche et je me suis dit pourquoi ne pas me lancer dans l’aventure de marque. Jusque là j’avais la casquette plutôt de sous-traitante de marque mais j’avais l’habitude quand même de suivre comment évoluer une marque. Je me suis dit pourquoi ne pas me lancer dans cette aventure de créer ma marque avec ses petits chaussons puisque je voyais qu’il y avait un vrai engouement, une vraie demande, qu’on me disait que c’était super bien fini, super confortable … Les premières créations sont nées comme ça. J’ai créé la marque qui n’était pas aussi développée qu’actuellement puisque j’avais mon métier à côté. J’avais un peu moins de temps pour m’occuper de HOB. L’objectif initial de la marque, c’était faire des choses confortables, du souple puisque c’était un peu ma recherche initiale et surtout de faire ça avec des matériaux qui soient propres, clean, sans risque d’allergie, pas toxiques, ni chimiques. L’objectif initial, c’était vraiment de trouver une alternative que j’avais pas encore réussi à trouver en tant que cliente.

Tu as mentionné le cuir végétal, enfin au tannage végétal, qu’est ce que ça signifie ?

La majorité des cuirs sont traités chimiquement parce qu’il y a des produits pour les nettoyer etc sauf qu’il y a certains produits qui peuvent être plus allergisants que d’autres. Dans le cuir à tannage végétal, les coloris sont faits à partir de pigments naturels et il y a l’absence de beaucoup de produits chimiques qui peuvent faire des réactions allergisantes au niveau de la peau. C’est un peu comme le bio pour l’alimentaire, il y a toute une liste de produits qui sont interdits d’utiliser dans ses peaux pour éviter tout risque de toxicité ou d’allergie.

Et toi, tu travaillais déjà pour l’entreprise que tu as reprise de ton papa avec des fournisseurs qui travaillaient ce type de cuir ?

Oui, on l’utilisait pas beaucoup pour nos clients mais on en a. C’est des choses qui sont traitées de manière un petit peu différente mais au Maroc, ça a toujours été quelque chose qu’on a connus parce que c’est des choses qui sont faites à la main et naturellement. Le tannage végétal est déjà connu au Maroc et effectivement c’étaient des fournisseurs qui étaient susceptibles de nous en fournir. Surtout depuis quelques années, c’est un cuir qui est en train de re-devenir « à la mode ». C’est une bonne chose parce que les gens prennent conscience que tous les cuirs ne sont pas traités de la même manière et que certains sont plus favorables à être traités de manière naturelle.

Au Maroc, il y a une très grande partie de l’artisanat qui est consacrée au cuir et au tannage, si je me trompe pas notamment dans la région de Fès. Comment est-ce qu’il a évolué ce secteur au fil des années avec le développement de la fast-fashion, l’exportation des travailleurs et travailleuses du textile à l’autre bout du monde, comment est-ce que ça a évolué au Maroc ?

Le milieu de l’artisanat pur n’a pas beaucoup changé. Quand on va dans les médinas, ça reste assez similaire. Il y a toujours les tanneries un peu anciennes qui travaillent de manière manuelle. En parallèle, il s’est développé quand même une petite, moyenne industrie qui est pour moi le relais un peu de cet artisanat. C’est devenu des marques un peu comme nous. Il y a beaucoup de jeunes marques de créateurs qui sont nées ces dernières années et qui justement travaillent en collaboration étroite avec des artisans, des mâalems ce sont des gens qui ont l’expérience, l’expertise artisanale et qui vont valoriser cet artisanat dans des produits plus modernes.

D’accord.

C’est plutôt des marques qui vont vers les artisans pour leur demander de travailler des choses qu’ils vont ré-exploiter dans des créations modernes. Ca va être dans le bijou, dans la chaussure, dans plein de choses, dans les sacs aussi…

Il y a vraiment un essor aussi de ces trentenaires, quarantenaires marocains qui ont envie de remettre au goût du jour l’artisanat.

Il y a notamment une marque de zelliges assez connue qui s’appelle et manosque ? qui a fait ça aussi, qui a complètement révolutionné le zellige marocain, qui l’a retravaillé d’une façon très moderne et qui maintenant l’exporte dans le monde entier. Il y a beaucoup d’initiatives dans ce sens-là.

Les zelliges, ce sont ces petites mosaïques très jolies…

Exactement qu’on voit sur les fontaines, dans les piscines ou sur les murs…

Si on revient à ton projet et donc à la création de ces chaussons, tu as tes copines qui te disent : « Hind, moi j’adore tes chaussons, est-ce que tu peux m’en faire pour mes enfants ? », l’idée de créer ta marque fait petit à petit son chemin mais j’imagine qu’il a fallu te rapprocher de couturières ou de couturiers, qu’il a fallu créer tout un écosystème autour de ces chaussons.

L’avantage que j’avais c’est que moi, en tant que fabricant, j’ai des artisans qui m’entourent qui sont des artisans qui, pour certains, travaillaient déjà avec mon père, avec une expertise de plus de 20 ou 30 ans de métier. J’avais ces gens-là qui n’avaient jamais fabriqué ce type d’articles mais qui, en tout cas, avaient une expertise cuir et une expertise couture. On a vraiment travaillé en collaboration. On a appris ensemble à faire des chaussons et des chaussons de la manière dont on voulait les voir en terme de finition ou en terme de matériaux. J’avais mon équipe qui m’a aidée à monter ces premiers protos. Le premier proto n’était pas très joli et après, au fur et à mesure du temps, on l’a amélioré et comme je le faisais porter à mon fils, je leur disais « Là, il y a ça qui va pas. Par exemple, l’élastique derrière ne convient pas, c’est trop court, là c’est trop long, là ça serre… ». On a vraiment travaillé main dans la main pour obtenir le bon produit et aujourd’hui on est encore en train de l’améliore. C’est un travail quotidien de faire progresser le produit.

En plus de la dimension artisanale de ces chaussons, tu as voulu aussi avoir un impact écologique minimal puisque tu essaies au maximum d’upcycler la matière première ou de la recycler. Par exemple, les chaussons que j’ai pour mon fils sont cousus avec du jean recyclé. Est-ce que tu peux nous en dire un petit peu plus sur cette dimension écologique ?

Nous, on s’était déjà rapproché de coopératives qui font notamment du tissage à la main. Dans l’industrie, on a beaucoup de chutes de matériaux qui ne sont pas forcément réutilisables dans les articles qu’on fabrique donc on a commencé à récupérer des chutes, notamment auprès d’usines textiles et de jean qui nous donnent leurs chutes. Elles sont vraiment destinées à être jetées, c’est pas des choses qui vont être réutilisées. On les récupère, on les donne à des coopératives de femmes qui vont les tisser de manière artisanale et traditionnelle. Elles vont faire du tissage qui est souvent utilisé sur des tapis mais que nous, on a revalorisé pour les insérer sur nos chaussons. Notre volonté était de revaloriser tous ces morceaux qui sont considérés comme des choses à jeter. Nous, on les a valorisés, on les a fait travailler et c’est presque un petit objet d’art. C’est de la pièce unique parce qu’on ne réutilise jamais les mêmes morceaux, ce n’est jamais les mêmes couleurs, c’est en fonction de ce qu’on trouve. C’est travaillé par des femmes qui ont aussi une expertise traditionnelle qui est transmise de génération en génération et souvent de femmes en femmes.

C’est une méthode de tissage qui s’appelle « boucharouite », c’est ce que tu dis sur ton site…

Oui, « boucharouite » exactement.

C’est une méthode qui était toujours assez en vogue ou qui avait tendance à disparaître ? On y viendra peut-être après mais il y a un gros problème d’appropriation culturelle sur ces questions et on peut acheter maintenant sur La Redoute et autres des tapis dit « berbères » qui ont été fabriqués à l’autre bout du monde mais pas du tout au Maroc par des artisans ou des artisanes…

Le « boucharouite » était quand même utilisé, c’est des créations qu’on arrive à voir dans la région de Marrakech. C’est pas forcément fait exactement de la même manière que ce qu’on souhaite faire. C’est souvent fait avec des matériaux particuliers qu’ils récupèrent, eux. Nous, de la manière dont on l’a fait, fin comme ça avec du jean, c’est vrai que c’était assez nouveau. C’est une technique qui est encore utilisée actuellement. Tu parles peut-être du « Beni Ouarain » qui existe encore un peu au Maroc mais c’est vrai qu’il y a de plus en plus d’industries à l’étranger qui commencent à faire des copies mécaniques qui sont beaucoup moins chères, qui ne sont pas forcément dans les bonnes fibres et qui font beaucoup d’ombre à ces artisans. Pour nous, le tissage, ça nous coûte extrêmement cher parce que c’est fait à la main, l’artisante doit retravailler le morceau de chute qu’on lui a donné à la bonne taille, tout est noué à la main… C’est un travail extrêmement minutieux. L’artisanat n’est plus valorisé réellement dans le sens où les gens cherchent plutôt à acheter du produit pas cher que du produit fait main. C’est là qu’il y a un décalage et malheureusement il y a quand même des techniques artisanales qui sont en train de disparaître. Il y en a de moins en moins qui sont capables de les faire. Les mâalems qui les faisaient sont en train de vieillir et il n’y a pas forcément de transmission. Mais sur le « boucharouite » notamment, il y a encore des gens qui le travaillent parce que ça reste quand même un objet qui est encore à la mode en ce moment, comme le « Beni Ouarain ».

C’est aussi notre responsabilité en tant que consommateurs et consommatrices. Si on souhaite acheter que ce soit un tapis ou les petits tabourets qu’on voit beaucoup au Maroc pour une dizaine d’euros, il faut bien avoir conscience que là, on valorise pas l’artisanat. On valorise la production de masse et industrielle et que finalement il y a eu toute une appropriation par des marques d’un savoir-faire ancestral.

Ca c’’est sûr que c’est notre responsabilité en tant que consommateur de savoir d’où viennent nos produits et comment ils sont fabriqués. Aujourd’hui, surtout avec ce qui est en train de se passer, il faut quand même ouvrir les yeux sur ce qui est important. Valoriser le travail de gens et surtout la problématique essentielle, permettre cette transmission de génération en génération, permettre que ces choses-là ne disparaissent pas sur du court terme, parce qu’on parle vraiment de quelques années. Il faut vraiment prendre conscience qu’un tapis ou un objet, peu importe l’objet, a une certaine valeur et que si on le paye à un dixième du prix, c’est qu’il n’est pas fabriqué de la bonne manière. Je pense que ça peut se prolonger sur tout, c’est pas forcément que sur l’artisanat marocain. Quand on paye quelque chose un prix dérisoire, c’est forcément fait dans des conditions qui ne sont pas les conditions initiales. Quand on achète un tapis qui vaut 5000 dirhams soit 500 euros et qu’on le paye à 100, c’est qu’il y a un souci. Aujourd’hui je pense qu’il faut aider ces gens-là parce qu’avec le Covid, on a un gros souci de tourisme. Les touristes ne sont plus là donc les médinas sont en train d’être asphyxiées puisque ça reste quand même leur première clientèle. Il y a eu des initiatives sur les réseaux sociaux  -notamment Chabi Chic qui a mis en avant le travail des artisans dans la médina de Marrakech -pour valoriser et pour aider ces gens-là qui vivent de ça. Sinon, demain, ils vont se tourner vers, je vais peut-être faire des raccourcis, la vente de téléphones pour survivre. Ils vont abandonner leur art parce que ça ne paye plus, ils ne peuvent plus en vivre. C’est ça qui est un peu triste. J’avais vu ce dont tu parles sur la Redoute, les tapis et j’en avais parlé avec ma famille qui est en Europe qui m’avait dit : « Pourquoi acheter des tapis au Maroc alors que je trouve les mêmes, mieux faits (en termes de finition, c’est vrai que le bât blesse un petit peu au Maroc malheureusement), mieux finis et qu’ils vont mieux durer qu’un tapis artisanal. » Ca reste quand même un état d’esprit. C’est une globalité qu’il faut changer et c’est vrai qu’au niveau des finitions, souvent, nous on l’a remarqué aussi en travaillant avec les artisans, ils ont un super beau boulot mais le dernier sprint final n’est pas fait correctement. Ils vont pas bien finir, ça ne va pas être joli, ça va pas être droit, ça va été un peu biscornu… Ca donne aussi de la valeur aux produits, on se dit : « voilà c’est un truc fait main » mais ça mériterait quelques petites améliorations de finition pour vraiment avoir un beau travail.

C’est indispensable pour toi quand même d’être sur place, de pouvoir aller les voir, de travailler main dans la main avec eux, de pouvoir faire des allers-retours à l’atelier ?

Nous, on travaille effectivement avec des jeunes femmes qui, elles, s’occupent de la coopérative. Nos contacts, ce sont ces jeunes femmes. On a fait depuis le début beaucoup d’allers-retours avec elles : « Non le fil est trop gros, ah non là c’est trop effiloché, là ça va pas, là c’est trop épais… ». C’est clair qu’on met du temps à bien finaliser nos produits. On veut que ce soit bien fini, que ce soit propre et que ce soit un produit qui ne soit pas jauni. Il faut que ça reste quand même joli esthétiquement, il faut que ce soit un truc qui soit portable. Donc oui, on fait beaucoup d’allers-retours. Avec mes artisans, ceux qui sont en interne avec moi, c’est beaucoup plus simple parce qu’on est au quotidien avec eux. Ca permet de dire : « Là, ça va pas, là ça fait mal, là c’est anguleux, là c’est pas joli. » On est tout le temps sur l’amélioration des finitions et on attend aussi beaucoup nos clients. Ils nous font beaucoup de retours positifs pour la plupart mais c’est vrai que, parfois, on a des retours qui nous poussent à nous améliorer, par exemple ce genre de commentaires : « je trouve que le coup de pied un peu serré ». On prend toutes les voies pour améliorer nos produits que ce soit en terme de finition ou en terme d’esthétique. Notre bonheur, c’est d’avoir des retours de gens qui nous disent : «Vos chaussons, ils conviennent, mon enfant ne mettait pas de chaussures et il les a adoptés tout de suite… ». On a ce genre de retour et c’est ce qui nous motive et ce qui nous fait avancer.

Tu disais un petit peu plus tôt dans l’épisode que maintenant tu travailles avec ton associée.

Oui. Samia qui m’a rejointe depuis un peu plus d’un an, qui est issue du domaine de l’enfance. Samia m’a rejoint pour m’épauler parce que c’est beaucoup de travail, surtout pour développer notre marque à l’étranger. Aujourd’hui, au Maroc, on a quand même une bonne communauté, de bons clients et on souhaite diffuser notre produit un peu plus à l’étranger.

Pourquoi est-ce que tu avais cette volonté d’exporter ces chaussons à travers le monde ? Pourquoi est-ce que tu t’es pas, finalement, cantonnée au Maroc ? Qu’est-ce-qui t’a motivée ? J’imagine que ça demande encore plus de travail.

Ca demande plus de travail effectivement. Le produit marocain, c’est souvent synonyme pas de mauvaise qualité mais de qualité moyenne, de finition moyenne. On voulait montrer que le produit marocain et beaucoup de produits européens qui sont fabriqués au Maroc sont dignes de marques européennes. On arrive à fabriquer des produits dans de bonnes conditions, de manière éco-responsable. Il faut savoir que nous, on est en circuit court sur un tout petit éco-système, tout est autour de nous. On arrive à faire des produits marocains beaux et bien finis. Moi en tant que marocaine, je suis fière de pouvoir me dire que les gens portent à l’étranger des produits marocains et qu’ils disent « Waouh, c’est pas un produit du souk !». Je fais  un raccourci mais c’est pas un produit du souk, qui est mal fini, pas joli, qui va sentir peut-être un petit peu la peau… Ca, c’était l’objectif numéro 1. L’objectif numéro 2, c’était de valoriser notre artisanat à l’étranger. C’est fait par des mains marocaines, des gens qui se donnent du mal à faire de beaux produits, que ce soit au niveau de la broderie, au niveau des coopératives de femmes, des tissages, au niveau de nos artisans qui montent les produits… Montrer que l’artisanat marocain, valorisé d’une certaine manière, plaît aussi dans le monde entier. Ce n’est pas destiné qu’à une clientèle marocaine. Enfin, et surtout, pouvoir montrer qu’on peut partir de chutes de matériaux et qu’on peut en faire des produits qui sont extrêmement beaux et qui sont aussi beaux que des produits issus de matériaux achetés. Ca aussi, c’était une vraie volonté de de dire qu’on arrivait à englober tout ça et à faire un produit. Là-dessus, la recherche est constante. On est toujours à la recherche de nouveaux matériaux mais avec la contrainte que ce soient des matériaux qui soient propres. Quand on récupère de la matière, on essaye un maximum que ce soit de la matière qui soit Oeko-tex pour que le produit soit 100% éco-friendly, et éco-responsable. C’est la mission la plus difficile. Ce sont des matières qu’on récupère au Maroc, auprès d’usines avec lesquelles on collabore, qui sont devenues des amies au fil du temps et qui ont joué le jeu avec nous dès le début. On y est allé, on leur a demandé de récupérer leurs chutes alors que souvent, ça se vend les chutes. Avec nous, ils jouent le jeu, ils nous donnent leurs chutes et ils sont agréablement surpris de voir ce qu’on en fait. C’est toujours une satisfaction de voir qu’eux qui montent d’autres produits, du jean ou des choses comme ça, quand on leur montre le produit final de ce qu’on a fait avec leurs chutes qui étaient destinées à être jetées, il y a de la lumière dans leurs yeux. C’est cool.

Le tout premier épisode que j’ai enregistré pour Basilic était consacré à cette démarche d’upcycling avec Sabrina qui est basée à Lyon et qui a créé la marque Kufu, elle recyclait des tissus. Ce que tu dis fait vraiment écho à ce que Sabrina disait : « quand je vais chez les couturières, que je récupère leurs chutes de tissus et qu’après je leur montre le produit réalisé, elles sont complètement émerveillées et elles n’ont qu’une envie, c’est de pouvoir me fournir à nouveau des tissus et ça entraîne une dynamique hyper positive; »

C’est vrai qu’il y a une dynamique qui se crée. Après qu’on leur a montré, quand on y retourne, ils nous disent :  « voilà j’ai pris ça pour toi, j’ai une idée… ». C’est rigolo, c’est vraiment sympa !

Est-ce qu’il existe aujourd’hui des associations qui valorisent l’artisanat marocain, des associations auprès desquelles on pourrait peut-être se rapprocher, nous en tant que consommateurs et consommatrices basés en Europe, si on veut acquérir un tapis, un tabouret, ce genre de choses ?

Je sais qu’il y a la maison de l’artisan qui chapeaute un petit peu ces sujets-là. Tout le monde n’est pas affilié à ce genre d’association. Nous, on est affilié plutôt à l’association des professionnels du cuir. En tant que consommateur final, je sais qu’il y a des pistes de réflexion en ce moment : ils sont en train de développer un label Made in Morocco. L’association des marques marocaines avait lancé ça et nous, on est affilié à ce label. Mais là c’est en train d’être fait à plus grande échelle et ça, c’est censé justement mettre des contraintes aux marques et aux artisans. Il y aurait un cahier des charges à remplir pour être labellisé « Made in Morocco ». Je pense que ça serait une belle démarche pour pouvoir reconnaître un produit fait dans des conditions décentes d’un autre. Aujourd’hui, nous au Maroc, on est envahi de produits turcs et  chinois.

Vous échappez pas à ça non plus…

Non, du tout. L’artisanat turc est en train d’envahir le Maroc et il est à prix dérisoire par rapport à l’artisanat marocain. Ce label est le bienvenu pour valoriser et mettre en avant notre patrimoine et pouvoir surtout l’exporter. Pour moi, ça permet d’être un gage de qualité pour les consommateurs en B to B ou en B to C, qui va leur permettre de dire : «  ça, c’est traçable, je sais que ça a été fait dans telles conditions, je peux y aller sans problème ».

C’est vrai qu’en tant que consommateurs et consommatrices, on a besoin de label aujourd’hui, on a besoin d’être éclairés.

La seule chose dont on est sûr, c’est qu’aujourd’hui les gens ont envie de savoir où ça a été fait, comment, dans quelles conditions et nous, l’avantage qu’on a d’être à la fois fabricant et marque, c’est qu’on maîtrise vraiment le process. Il n’y a pas de choses qui nous échappent.

Au niveau du prix, je voulais qu’on en parle aussi pour que les auditeurs et les auditrices qui écoutent ce podcast ne pensent pas qu’on parle de petits chaussons à 150 euros la paire.

Pour le prix, on essaie d’être entre 38 et 45 euros en prix de vente public. C’est très rare de voir des soldes sur notre site ou ce genre de choses parce que nos marges sont calculées vraiment justes. On n’est pas dans une perspective d’être gourmands, on est dans une perspective d’utiliser des matériaux qui coûtent chers à la base ou en tous cas qui coûtent plus chers que des matériaux standards. C’est des matériaux qui nous coûtent plus cher initialement, tout ce qui est tissage, tout ce qui est broderie, ça a un prix puisque c’est fait manuellement. Les marges sont calculées vraiment de manière très raisonnables pour arriver à un prix qui soit décent auprès du consommateur. Certes, ça va être plus cher que certaines marques qui sont sur le marché mais honnêtement, pour les avoir pris en main, comparer, souvent en terme de finition, on est quand même sur un niveau de finition qui est plus élevé. Au même niveau de finition, en général, on est sur les mêmes prix, voire un petit peu moins cher. Nous, l’objectif c’est vraiment d’offrir un rapport qualité-prix qui soit intéressant. Pour pouvoir payer les matériaux, les coopératives etc, on a besoin de marger comme toute marque, pour pouvoir payer tous nos frais. Dans notre réflexion de marque, on est sur des petits stocks. On fabrique pas en énorme quantité pour diminuer le prix de fabrication et derrière faire des soldes parce qu’on fait des marges énormes. On est sur une production maîtrisée quitte à en refaire quand on a des demandes mais on n’est pas sur de la fabrication industrielle pour essayer de casser les coûts. On est quand même sur quelque chose qui reste à taille humaine, on fabrique ce qu’on considère pouvoir vendre et on ne fait pas de stock. On a très rarement des paires qui nous restent sur les bras d’une saison sur l’autre. Les matériaux, on les achète en quantité nécessaire et on le fait au fil de l’eau.

Vous êtes vraiment dans une démarche responsable de a à z. Merci beaucoup !

Avec grand plaisir ! Vraiment c’est un plaisir d’échanger avec toi et d’écouter tes podcasts qui sont sur des sujets divers et qui me permettent de m’ouvrir à d’autres initiatives écologiques.