Cette semaine, je reçois Charline Schmerber, psychologue et éco-psychologue basée à Montpellier. Depuis cinq ans, Charline accompagne ses patientes et ses patients sur différentes problématiques comme l’éco-anxiété ou la solastalgie. Charline Schmerber accueille ces individus qui n’arrivent plus à faire face au changement climatique et qui se sentent dévastés, perdus, impuissants. Dans cet épisode, une psychologue prend la parole sur un sujet encore méconnu. Sachez que vous n’êtes pas seuls et que des professionnels de santé peuvent vous accompagner à traverser ces périodes difficiles. Il est normal, en 2021, de se sentir éco-anxieux ou éco-anxieuse et j’espère que cet épisode pourra vous apporter quelques réponses. Bonne écoute à toutes et à tous !

Bonjour, Charline !

Bonjour !

Je suis vraiment ravie de vous recevoir au micro de Basilic aujourd’hui. On aurait dû se rencontrer à Montpellier mais les aléas font que ça n’a pas été possible… Est-ce que vous pouvez d’abord commencer par vous présenter, s’il vous plaît ?

Je suis Charline Schmerber, je suis praticienne en psychothérapie et je suis installée à Montpellier. J’ai été formée en analyse psycho-organique. C’est une méthode d’accompagnement de psychothérapie qui met vraiment l’accent sur l’importance du corps qui  est traversé par les émotions et depuis un peu moins de 5 ans, suite à ma prise de conscience par rapport à l’état du monde, j’ai décidé d’ouvrir ma pratique et mon cabinet à l’accueil de différentes problématiques comme l’éco-anxiété et la solastalgie, dont on va parler, de manière à ce que les personnes puissent avoir un espace pour pouvoir être accueillis dans leurs espoirs, leurs doutes, leurs craintes et de manière vraiment non jugée. Pour compléter cette pratique en cabinet, je suis allée un peu me former dans tout ce qui est éco-psychologie : comment est-ce qu’on peut intégrer la nature, le vivant dans des processus d’accompagnement thérapeutique. Ainsi, j’ai fait une formation en octobre sur tout ce qui est Shinrin yoku qui est traduit en français de manière beaucoup moins poétique par « bain de forêt » et qui est vraiment une manière d’intégrer à l’intérieur de soi tous les bienfaits de la forêt.

D’accord. Vous vous êtes forméé où ?

J’ai été formée au Shinrin yoku par Bernadette Ray, une Canadienne qui a monté tout un programme de certification au Canada et qui vient de temps en temps former des personnes en France. Elle a formé une bonne partie des personnes qui sont aujourd’hui référentes sur ce sujet et qui font partie d’une fédération qui s’appelle « En chemin vert » qui regroupe des praticiens en shinrin yoku et des praticiens en sylvothérapie.

Et ce terme, d’où vient-il ?

Shinrin yoku, c’est du japonais et c’est traduit en français par « bain de forêt ». lI y a une dynamique un peu différente entre le Shinrin yoku et la sylvothérapie : dans le Shinrin yoku, il y a toute une tradition japonaise avec beaucoup de rituels, des invitations un peu spécifiques, une cérémonie du thé… Il y a toute une dynamique qui est bien empreinte de la pâte des Japonais et qui est différente un peu des concepts de sylvothérapie.

D’accord, on aura peut-être l’occasion d’y revenir pendant l’épisode. Suite à votre présentation, il y a une question qui me vient qui est de savoir comment a eu lieu ce déclic. Vous le disiez, il a eu lieu il y a à peu près cinq ans. Qu’est-ce qui vous a poussé à entamer cette transition professionnelle ou en tout cas, à élargir le champ de vos connaissances et de vos compétences ?

Rien de très original. C’est une personne de ma famille qui a commencé à m’ouvrir à ces questions-là en partageant différents rapports du Giec, avec les informations que ça contient de réchauffement climatique, acidification des océans, probables migrations climatiques futures… Je n’ai pas été éduquée par des parents écolo. J’aime à dire que je n’ai pas une conscience écologique innée mais qu’elle est vraiment acquise et récente. Mais ce qui s’est passé pour moi, c’est qu’à partir du moment où ces données-là sont entrées dans ma vie, j’ai commencé à regarder le monde avec des yeux neufs comme le dit Joanna Macy. A partir de ce moment-là, je ne pouvais plus vraiment revenir en arrière et j’ai traversé, comme beaucoup de personnes, les différentes phases de deuil qui ne sont pas linéaires mais qui sont, Laure Noualhat le dit, comme un processus de « machine à laver » dans lequel on revient souvent. Je me suis sentie assez seule par rapport à ces questions-là et surtout je me suis interrogée sur quoi faire par rapport à ça. J’ai traversé vraiment une espèce de crise existentielle qui est assez courante et qui m’a fait m’interroger sur ce que je pouvais faire. Je suis allée me former en permaculture, j’ai réfléchi à déménager à la campagne et puis finalement, je me suis dit que mon métier à moi c’est de créer un espace pour l’autre et vu qu’à ce moment-là, il n’y avait encore pas grand monde sur ce genre de problématique, je me suis dit que ça pourrait être intéressant de voir s’il y avait la possibilité d’ouvrir ma pratique à ça. Ca m’a amené à faire le site que j’ai créé en 2019 qui s’appelle solastalgie.fr dans lequel j’explique un peu ce que sont l’éco-anxiété et la solastalgie et j’ai proposé, à ce moment-là, de recevoir des personnes éco-anxieuses ou solastalgiques et il y avait de la demande. Il y a eu de la demande notamment du fait des périodes de canicule aussi. Dès qu’on vit les phénomènes environnementaux dans nos corps et que ça nous impacte, il y a des prises de conscience. On le voit aussi avec la crise du Covid. Depuis la crise du Covid, j’ai beaucoup plus de personnes anxieuses, inquiètes, dans beaucoup d’incertitudes par rapport à l’état du monde, ça a favorisé des prises de conscience. Tout ça pour dire que c’est venu d’une envie personnelle de mettre en adéquation ma perception du monde et mon métier et de pouvoir proposer quelque chose qui avait du sens. Je me suis vraiment interrogée sur la manière dont je pouvais être utile dans le monde actuel et dans le monde à venir. C’est la réponse que j’ai trouvé : pouvoir accueillir ce genre de problématiques et  proposer aussi par la suite une manière de restaurer le lien avec le vivant, à travers le Shinrin Yoku. Ca m’a semblé être des réponses cohérentes par rapport à la personne que je suis aujourd’hui.

Vous le dites, quand on découvre toutes ces données et ces faits sur le changement climatique, on passe par plusieurs phases de deuil et c’est vrai qu’on a besoin d’être accompagné. J’aimerais, avant qu’on continue sur ce deuil qu’on doit réaliser, que vous reveniez peut-être sur la notion d’éco-anxiété que vous distinguez aussi de la notion de solastalgie

On les emploie souvent l’une pour l’autre mais ça ne veut pas dire la même chose. Ce qui les différencie, c’est la temporalité de l’expérience que vit le sujet. Dans l’éco-anxiété, c’est une détresse qui est prospective, c’est une forme de stress pré-traumatique qui est déclenchée par une projection vers l’avenir et c’est en lien avec la prise de conscience écologique. Ce qui est nouveau, ce n’est pas tant le ressenti émotionnel qui est l’anxiété mais c’est plutôt la cause qui la génère et là, c’est vraiment l’ensemble du système-Terre dans lequel on vit et qui est en train d’être profondément abîmé par l’impact de l’action humaine. La solastalgie, si je reste avec mon idée de temporalité de l’expérience, c’est une détresse qui est plutôt rétrospective. C’est un néologisme qui a été créé par un philosophe de l’environnement australien qui s’appelle Glenn Albrecht dans le début des années 2000. La solastalgie, c’est vraiment la forme de souffrance psychique que l’on ressent à voir l’habitat dans lequel on évolue se dégrader alors qu’on est toujours dedans. A la différence de la nostalgie qui renvoie à un lieu que l’on a quitté, dans la solastalgie, on y est toujours. Ce qui est commun à l’éco-anxiété et la solastalgie (et j’ai pu le voir dans l’enquête que j’avais faite en 2019 sur l’éco-anxiété) c’est qu’il y a tout un panel d’émotions qui va bien au-delà de l’anxiété, il y a aussi beaucoup de colère, de tristesse, d’impuissance, de peur mais aussi de l’espoir. Il y a aussi un impact, que ce soit la solastalgie ou l’éco-anxiété, sur la dynamique de l’action : il y a des gens qui sont un peu figés, qui sont dans une forme de paralysie, il y a des gens à qui ça donne envie de se mettre en mouvement et d’autres qui sont dans une forme d’oscillations entre envie d’agir et forme d’impuissance. C’est normal d’être éco-anxieux ou solastalgique mais en tout cas, ce qui permet de vivre mieux avec ces problématiques-là c’est de retrouver le chemin de l’action et ça, c’est pour les deux phénomènes.

C’est ce que vous essayez de faire avec les patients et les patientes que vous accompagnez.

Tout à fait, oui.

Ca veut dire aussi qu’on peut souffrir d’éco-anxiété et de solastalgie.

Oui. Je vous donne un exemple concret : les agriculteurs qui travaillent la terre et qui constatent que d’année en année, avec les saisons qui sont plus vraiment marquées, il y a des récoltes qui sont beaucoup plus compliquées, ils constatent vraiment d’un point de vue terrain ce qui se transforme. Un autre exemple d’une personne qui a toujours connu un lieu où il y avait une jolie rivière qui coulait et puis avec un phénomène de sécheresse, elle constate que la petite rivière n’est plus là, ça, ça génère de la solastalgie et après la même personne peut être amenée à se sentir inquiète par rapport à une projection dans l’avenir où elle se dit : qu’est ce que je vais faire comme métier ? Est-ce que je peux continuer à faire les études que je fais par rapport à la suite du monde ? Il y a une thématique qui revient souvent en séance, c’est la question des enfants… Ca, c’est des questions qui sont plutôt de l’ordre de l’éco-anxiété parce qu’on se projette, c’est vraiment par anticipation.

Est-ce qu’un public plus jeune souffrirait davantage d’éco-anxiété ?

Moi je vois que ça touche tout type de public. En fait, ça ne va pas les toucher de la même manière, en fonction de l’âge des individus. Les jeunes par exemple vont s’interroger beaucoup sur leur carrière professionnelle, sur les études qu’ils ont commencé à faire. Par exemple, quand on est en école de commerce, qu’on travaille dans la finance, est-ce que c’est quelque chose qui est porteur d’avenir ou pas ? Il y a des remises en question par rapport à ça. D’autres personnes qui vont être à un âge, par exemple à 35 ans ou 30 ans, où ils vont avoir envie de créer un foyer, vont se poser des questions, dans quel monde arrivent des enfants d’aujourd’hui… C’est vraiment à des moments-charnières que ça peut générer le besoin d’être accompagnés. Il y a aussi des personnes qui sont un peu en saturation par rapport à leur travail, dans une forme de burn-out écologique : ceux qui travaillent dans le milieu du développement durable ou tout ce qui est en lien avec l’écologie et qui sont confrontés en permanence avec la réalité concrète de, par exemple, la biodiversité qui s’effondre, ils vont avoir peut-être plus besoin d’aide à un moment parce que c’est des gens qui sont vraiment en prise avec ces réalités-là. J’ai participé à différents groupes d’échanges autour de cette thématique-là, il y a des mamans, il y a des grands-parents qui sont inquiets pour leurs petits-enfants et qui sont aussi tout à fait concernés par l’état du monde et qui peuvent être amenés à ressentir aussi ces formes de souffrance psychique qui sont vraiment issues des dégradations de notre système-Terre.

On a parlé de comment est-ce que ça pouvait arriver, comment est-ce qu’on pouvait y être confrontés mais on a peu évoqué les symptômes.

Ce que je peux vous partager, c’est que j’ai fait, par rapport aux personnes que je reçois, trois profils de patients avec des caractéristiques différentes.

La première typologie de patients, ça va être des personnes qui arrivent, comme l’exemple que je citais, en burn-out écologique. C’est des gens qui y sont confrontés, aussi dans la sphère associative, c’est pas forcément que la dimension professionnelle, et qui sont vraiment dans une phase de beaucoup de tristesse, de surmenage. Ca peut être aussi des populations de militants : c’est vraiment le gros risque d’être dans une posture de « trop », dans une forme d’épuisement et donc c’est des personnes qui arrivent assez fatigués, avec des symptômes physiques aussi. C’est des personnes qui parfois momentanément n’arrivent plus à manger, ont du mal à dormir, des insomnies, beaucoup de fatigue et un débordement émotionnel qui est bien là. Si je m’en réfère un peu à la courbe du deuil, on peut dire que c’est des personnes qui arrivent dans une phase de dépression qui est donc la quatrième étape du deuil telle que l’a défini Elisabeth Kübler-Ross.

Autre profil de patients, ça va être des personnes qui vont arriver dans ce que j’appelle une forme d’éveil écologique traumatogène. C’est des personnes qui ont pris conscience de la réalité du monde dans lequel on vit. Elles ont regardé une vidéo de Cyril Dion, elles ont lu l’ouvrage de Pablo Servigne Comment tout peut s’effondrer ou le rapport du Giec et c’est des personnes qui vont arriver dans vraiment ce qui peut constituer une forme de traumatisme. Ils vivent les 5 étapes différentes du traumatisme avec une phase de choc, une phase de sidération, une phase de déni, une tentative de résolution de leur problème qui va vraiment dans un grand sentiment d’urgence. C’est quelque chose que je perçois de manière très intense chez ce type de patients. C’est des gens qui vont essayer de trouver des solutions, qui arrivent dans beaucoup d’urgence : « Il faut trouver des solutions », ça va très, très vite. Il y a une dimension assez traumatique dans cette prise de conscience. C’est des personnes, si je m’en réfère à la courbe du deuil, qui arrivent plutôt dans une forme de colère parce qu’ils prennent conscience qu’il y a une désillusion par rapport au monde dans lequel on vit. Il y a des gens qui me disent « Mais moi, j’avais pas signé pour ça, comment est-ce que ça se fait que tout le monde ne soit pas dans la rue en train de se mobiliser ? Qu’est-ce que font les gens ? Pourquoi est-ce que tout le monde n’est pas en train de paniquer comme moi ? ».

La dernière typologie de patients, ça va être des personnes que j’appelle des éveillés lucides, qui ont toujours été un peu conscients du monde dans lequel on vit et du fait que le monde marche un peu sur la tête, si je peux le dire comme ça. Ca va être des personnes qui ont une sensibilité à l’environnement, qui ont par exemple toujours adopté une posture dans la décroissance et qui ont toujours senti une forme de décalage par rapport au monde de la consommation etc. et qui, un jour, mettent un mot sur ce décalage qu’ils ont toujours ressenti à savoir de l’éco-anxiété ou de la solastalgie. Vraiment, je le vois chez certains patients qui n’arrivaient pas du tout pour des problématiques d’éco-anxiété, de solastalgie mais à un moment donné, le terme vient et ça fait un apaisement chez les personnes de pouvoir enfin mettre un mot sur le mal qui était là mais qui n’était pas forcément compris. En terme de symptômes, par rapport à ce que vous disiez sur l’anxiété, je ne suis pas forcément très fan du terme d’éco-anxiété parce que je le trouve un peu réducteur. C’est vraiment ce qui était ressorti de la question que j’avais posée en octobre 2019 aux participants de l’enquête que j’avais faite sur l’éco-anxiété. Je leur avais demandé « en dehors de l’anxiété, est-ce que vous ressentez d’autres émotions ? » et j’avais été surprise par les réponses. Il y avait eu 175 termes utilisés pour décrire les ressentis qui étaient présents. L’anxiété, c’en était un parmi 175 mais il y en avait plein d’autres, ça peut être de la colère, de la tristesse, de l’impuissance, de la peur, de l’espoir… Il y a tout un panel d’émotions et ce qui me semble important aussi d’ajouter c’est que c’est pas en lien seulement avec la dimension environnementale. C’est vraiment une forme de souffrance psychique qui est générée par l’état actuel du monde dans sa globalité, ça peut être aussi des phénomènes politiques, des phénomènes sociaux, géopolitiques, avec des craintes économiques aussi, par rapport à un potentiel crash boursier… C’est plein de facteurs, c’est vraiment une anxiété qui est systémique et qui est reliée à tout un ensemble de facteurs et pas seulement la dimension environnementale. Ce qui me semble important de rajouter, c’est que les personnes qui avaient participé à l’enquête en 2019, quand je les avais interrogé sur les facteurs, avaient mentionné le risque de crise sanitaire et de pandémie aussi. C’était en octobre 2019 et en relisant la restitution, je me suis dit que la crise du Covid, c’est vraiment un facteur qui peut générer ces prises de conscience et ces nouvelles formes de souffrance psychique.

Et vous l’observez depuis le début de la crise en février dernier.

Ah oui ! Et je l’observe aussi chez mes collègues. On voit qu’on a beaucoup plus de demandes de prise en charge thérapeutique parce que les personnes ont besoin d’un espace pour pouvoir parler, pour pouvoir poser leurs craintes, leurs doutes, pour pouvoir être apaisées. Ca génère vraiment un besoin d’être accompagnés dans le fait de traverser cette crise sanitaire, cette crise existentielle, cette crise identitaire, cette crise de la sensibilité comme l’appelle Baptiste Morisot.

Quand vous vous êtes intéressée à la meilleure façon d’accompagner vos patients et vos patientes il y a cinq ans, est-ce que l’éco-psychologie, si on peut l’appeler ainsi, était déjà développée ? Depuis quand est-ce qu’on pratique l’éco-psychologie ? Est-ce qu’il y a aussi des pays peut-être précurseurs ?

L’éco-psychologie, c’est un terme qui a été créé par un philosophe américain qui s’appelle Théodore Roszak et je crois que ça date de 1992. Il y a eu d’autres travaux d’un philosophe norvégien Arne Naess qui sont venus nourrir cette question de l’éco-psychologie. L’objectif de ce qu’on appelle éco-psychologie, qui fait le lien entre l’écologie et la psychologie, c’est vraiment de prendre soin de la relation entre les humains et l’environnement qu’on appelle non-humain ou le reste du vivant et de favoriser une bonne harmonie entre ces différentes parties prenantes de cet écosystème-Terre. C’est vraiment ça le but de l’éco-psychologie. Il y a différentes pratiques qui peuvent s’y trouver rattachées comme l’éco-thérapie. Jean-Pierre Le Danff est un éco-thérapeute assez connu qui emmène les personnes à l’extérieur, dans la nature et qui propose des ateliers de manière à ce que les gens puissent vraiment se sensibiliser avec le contact de la nature. J’ai un collègue aussi à Paris qui fait des sessions dans la forêt, tout un week-end à passer en forêt. Il y a aussi des personnes qui sont équi-thérapeutes… L’éco-psychologie, c’est vraiment dans une optique de reliance avec le vivant, de bonne intelligence et de placer aussi l’humain à une juste place et pas au-dessus, dans une idée de Descartes, de l’homme possesseur de la nature. Ne serait-ce que d’employer ce terme de nature, c’est mettre une opposition, là je me réfère aux travaux de Philippe Descola dans l’ouvrage Par-delà nature et culture. On parle de vivant et le vivant, ça nous inclut tous. On est tous vivants : les organismes vivants, les humains, le non-humain… Il y a quelque chose qui me semble beaucoup plus juste et pour moi, c’est vraiment l’objet de l’éco-psychologie. Pour moi, le Shinrin yoku, cette pratique de la sylvothérapie, c’est une des branches de l’éco-psychologie aussi, un outil au service de l’éco-psychologie.

Il existe donc plusieurs outils. Vous, en parallèle de ces bains de forêt, comment est-ce que ça se passe pour un patient ou une patiente qui viendrait vous consulter pour trouver de l’apaisement face à ces problématiques et face à ces maux ?

Moi, je propose différentes choses. Il y a effectivement toute cette dimension à l’extérieur, en nature, la forêt… Mais il y a aussi juste, et je pense que c’est essentiel, le fait de pouvoir être entendu dans ses craintes et de pouvoir juste poser une parole qui va être légitimée. J’ai souvent des personnes qui arrivent qui ont déjà un certain bagage thérapeutique et qui me disent : « J’ai déjà travaillé en psychothérapie, je suis déjà allé regarder du côté de mon histoire mais mon thérapeute ne m’a pas accueilli dans ma crainte par rapport à l’état du monde ». C’est une vraie souffrance, c’est un vrai problème, c’est une vraie crainte qui est tout à fait légitime et rien que le fait de pouvoir avoir quelqu’un qui écoute ça, qui entend ça, pour moi, ça me semble déjà un moyen de désamorcer ou en tout cas de réduire tout le panel d’émotions qui est présent. Ainsi j’invite beaucoup les personnes que j’accompagne à se centrer sur elle, à prendre soin. La notion de prendre soin, pour moi, elle se passe à trois niveaux : c’est prendre soin de soi, prendre soin des autres et prendre soin du vivant. Ce que je fais dans mon cabinet dans une relation asymétrique de personne à personne, c’est vraiment d’inviter la personne à réunir le corps et l’esprit, à prendre conscience qu’elle est une unité psycho-organique, qu’elle n’est pas juste un esprit pensant et ainsi pouvoir se ré-approprier toute la dimension émotionnelle, comprendre le message des émotions, pouvoir les accueillir, pouvoir les vivre parce que c’est à partir du moment où on traverse les émotions qu’il y en a une autre qui peut arriver. C’est parce qu’on connaît la joie qu’on connaît aussi la tristesse ou inversement, c’est parce qu’on connaît la tristesse qu’on peut connaître la joie. C’est vraiment pouvoir permettre aux personnes d’arriver avec toute la dimension émotionnelle qui est là sans juger et j’invite aussi vraiment les personnes à ralentir par rapport au sentiment d’urgence. J’ai souvent : « Qu’est-ce que je dois faire ? Où est-ce que je dois aller habiter ? », je dis souvent aux personnes que, dans tous les cas, quoi qu’il se passe, on ne sera jamais prêt. La crise du Covid, personne ne l’avait prévue et on peut juste faire au mieux, jour après jour, et apprendre aussi à lâcher prise sur notre besoin de contrôle. Il y a ça qui est vraiment très important, ce sentiment d’urgence, cette envie d’agir. C’est aussi très en lien avec le fait de retrouver une forme de contrôle par rapport à quelque chose qui nous dépasse. J’invite beaucoup mes patients à accueillir la notion d’incertitude. On est aujourd’hui dans un monde où on vit avec une notion d’incertitude qui est très présente. C’était la semaine dernière où on entendait Emmanuel Macron nous dire si on allait pouvoir ou pas fêter Noël. Au quotidien, on ne sait plus vraiment ce qui va être des jours, des semaines ou des mois à venir. On a énormément de mal à se projeter et ça, c’est quelque chose de très difficile car dans la manière dont l’humain est structuré, on a besoin de pouvoir se projeter. Une grosse part du travail, c’est de pouvoir amplifier le temps présent. Il y a différents outils qui existent. Ca peut être d’apprendre la méditation, tout ce qui est MBSR (Mindfulness Based Stress Réduction = Réduction du stress par la pleine conscience), des techniques de méditation en pleine conscience, de revenir à soi, de faire de l’introspection et vraiment de pouvoir être à l’écoute de ce que la personne vit vraiment. Je propose aussi des choses, et c’est ça qui différencie peut-être un peu de ma pratique habituelle de la psychothérapie, beaucoup ancrées dans le réel. En psychothérapie, on travaille beaucoup avec la dimension de symbolique, d’imaginaire et là, on est quand même dans une notion très concrète : comment est-ce que quotidiennement on va pouvoir travailler sur la restauration de votre sécurité intérieure ? Comment dans un monde qui s’effondre à l’extérieur, à l’intérieur de vous, ça peut être construit ? Qu’est-ce qui peut rester stable dans ce monde qui est profondément chamboulé ? L’éco-anxiété, et j’utilise souvent cette image de l’arbre qui cache la forêt, ça peut être aussi une porte d’entrée à aller travailler plein d’autres choses chez les individus. Parfois, il faut traiter ce symptôme-là et aller regarder aussi ce que ça peut ouvrir comme problématique chez les individus. Mais clairement, il y a une dimension plus pratique d’accueil du présent, avec des outils… Je propose aussi des petits audios à faire à l’extérieur, dans la nature, de manière à pouvoir permettre aux gens de prendre conscience qu’ils font partie du vivant. Je donne aussi des conseils de lecture, des choses qui permettent de sentir qu’on n’est pas seuls à vivre ça et ça, ça fait du bien. Je reçois beaucoup de personnes qui me partagent un profond sentiment de solitude. L’éco-anxiété et la solastalgie, ça met à mal les liens parce que parfois, les personnes de notre entourage ne sont pas là-dedans et on peut se sentir vraiment incompris. Favoriser les liens et éventuellement rejoindre des groupes qui permettent de sentir qu’on n’est pas seul, c’est très important.

C’est vrai que ça peut être très difficile quand on aborde ces problématiques de changement climatique à un repas de famille ou à un anniversaire, on va tout de suite nous accuser de casser l’ambiance, nous accuser d’être rabat-joie et c’est pas facile. Je rejoins tout à fait vos patients et vos patientes qui vous disent qu’ils ont le sentiment de ne pas être écoutés. Si on n’est pas entouré de personnes qui, comme nous, sont sensibles à ces questions, on peut avoir ce sentiment d’être isolé, j’en conviens totalement.

C’est vraiment un gros thème la difficulté de maintenir les liens parfois par rapport à ces sujets-là. Je pense qu’on est tous touchés d’une manière ou d’une autre par les phénomènes actuels. Quand on est dans le déni, on est touché aussi mais on a tellement de mécanismes de défense qui se mettent en place qu’on fait comme si cette réalité n’existait pas. C’est une manière de l’appréhender qui est aussi tout à fait entendable. On a chacun des rythmes différents et des manières de pouvoir accueillir la réalité. Ce que je perçois aussi beaucoup chez mes patients, ce qui est difficile, c’est qu’on a envie de pouvoir convaincre les autres, on a envie d’essayer de prêcher un peu la bonne parole, de favoriser la sensibilisation et je m’aperçois vraiment que c’est extrêmement compliqué parce qu’à partir du moment où on n’a pas soi-même fait un travail sur ce que Michel Maxime Egger appelle le ‘compostage de ses émotions’, on va pas pouvoir transmettre une information qui va être entendable, on va transmettre de la peur, de l’angoisse, un sentiment d’urgence. C’est très important déjà, avant de chercher à partager l’information, d’être au clair soi-même avec ce que ça nous fait vivre. J’invite beaucoup mes patients à adopter un peu la preuve par l’exemple, de manière à donner envie. On donne envie aux gens de faire quelque chose qui nous enthousiasme, on ne donne pas envie aux gens de rejoindre des mouvements parce que ça fait peur, parce que la planète est en train d’être débordée de plastique. Ce n’est pas une bonne manière de transmettre l’information et de convaincre. Ce qui me semble aussi important de souligner c’est que on n’est pas tous égaux, on a une temporalité qui est différente donc la manière dont les gens vont pouvoir accepter les informations, ça va dépendre de plein de choses, ça va dépendre de leur histoire, ça va dépendre de leur capacité à pouvoir accueillir ça et on n’a pas tous le même rythme. C’est la diversité qui fait la richesse. C’est important de pouvoir prendre conscience de ça et savoir quand c’est trop. Il faut vraiment y aller avec bienveillance et délicatesse. La bienveillance, c’est un mot qui devient récurrent mais la lucidité et la bienveillance, ça me semble être deux maîtres-mots quand on veut parler de ces thématiques.

Et accepter aussi que parfois on ne va pas entrer dans ce débat-là, on ne va pas entrer dans cette confrontation parce qu’émotionnellement, c’est trop pour nous et qu’il vaut mieux tout simplement se mettre en retrait. C’est quelque chose à laquelle j’ai été confrontée à plusieurs reprises et où finalement je me suis dit : « Ecoute, Jeane, pour te préserver, ne débats pas, laissons les idées là où elles sont, laissons la conversation filer mais n’entre pas dans ce conflit-là car à l’heure actuelle, tu n’en as pas la force émotionnelle. »

Oui, c’est très juste, c’est vraiment très juste. Ca veut dire que c’est un moyen de sentir ses limites, de se dire : « Je ne rentre pas dedans puisque potentiellement ça va me déborder ou ça va être un débat qui va être compliqué. »  Et pour rebondir, un conseil que je peux donner, c’est de ré-interroger l’essence du lien. Quand vous avez rencontrer cette personne, qu’est-ce qui a fait que c’est devenu votre ami ou que c’est devenu quelqu’un de proche dans votre vie en dehors des questions environnementales et de la manière dont vous percevez le monde. C’est un moyen de retourner vraiment à ce qui fait l’essence du lien. Moi, j’ai des personnes dans ma sphère amicale qui ne sont pas du tout branchées sur l’environnement et ça me fait du bien de pouvoir échanger des choses légères et joyeuses. C’est aussi hyper précieux ne pas être que avec des gens qui sont dans une forme d’éco-anxiété ou autre. C’est important de pouvoir ré-interroger la substance des liens et de ne pas faire rupture. A partir du moment où on se reconnaît plus trop dans les liens, on peut être amené à les casser. C’est vraiment la dimension de l’éco-anxiété, de la solastalgie et de la manière dont on regarde le monde, cette mise à mal des liens donc s’interroger sur ce qui fait qu’initialement cette personne-là, elle était précieuse dans ma vie, se raccrocher à ça, c’est essentiel.

Tout à fait. On ne l’a pas encore mentionné mais est-ce que aujourd’hui l’éco-anxiété ou la solastalgie sont reconnues comme des maladies au même titre que peut l’être par exemple la dépression ?

Alors pas du tout. L’éco-anxiété et la solastalgie, moi je dis que ce sont des signes d’une conscience éveillée et c’est plutôt une réaction saine dans un monde qui s’ignore fou. Il y a une médecin de santé publique qui s’appelle Alice Desbiolles qui a écrit un livre sur l’éco-anxiété qui s’appelle L’éco-anxiété : vivre sereinement dans un monde abimé dans lequel elle va creuser cette dimension de l’éco-anxiété et de la solastalgie pas comme une pathologie mais plutôt comme une forme de sensibilité. Pour moi, et c’est ce que je vois chez les patients que j’accompagne, l’éco-anxiété et la solastalgie, c’est pas du tout des pathologies ni des maladies, c’est vraiment signe d’une conscience lucide qui n’est pas forcément simple à vivre parce que ça a un prix assez désagréable parfois la lucidité. J’ai des patients qui me disent : » Je préférerais être comme les personnes qui sont dans le déni parce qu’au moins ce serait plus facile », ce à quoi je réponds souvent que certes il y a un prix au fait d’être lucide, c’est désagréable mais ça permet aussi de se préparer psychologiquement à tout ce qui peut advenir et un traumatisme qui est un minimum préparé ou des phénomènes qu’on peut anticiper, vis-à-vis desquels on peut se créer une sécurité intérieure, on ne les vivra pas de la même manière. Pour moi, l’éco-anxiété et la solastalgie, et c’est ce que dit Alice Desbiolles dans son livre, c’est une richesse, c’est aussi une chance et c’est aussi quelque chose à mettre au service du monde de manière à favoriser peut-être les prises de conscience. Christophe André dit que les personnes éco-anxieuses, c’est un peu comme des lanceurs d’alerte et il utilise cette image des petits canaris qu’on mettait dans les mines de manière à sentir quand il y avait des coups de grisou pour que les mineurs puissent sortir. Je trouve cette image très intéressante. On peut voir les personnes solastalgiques ou éco-anxieuses de cette manière-là, comme un peu des sentinelles du vivant et des personnes à écouter. Donc non, ce ne sont absolument pas des personnes malades et ce n’est absolument pas une pathologie, au contraire.

C’est plutôt même normal d’être éco-anxieux en 2020.

Quand on regarde l’état du monde, je pense que c’est plus normal d’être éco-anxieux que éco-  serein même si on peut tendre à travers différentes pistes vers le fait de cultiver une éco-sérénité. Oui, ça me semble tout à fait normal et je pense que c’est cyclique.

Quand on est confronté pour la première fois à ces chiffres et ou en tout cas, quand on en prend conscience pour la première fois plutôt, on peut avoir une phase aussi où on a envie de tout couper, de ne plus regarder les informations, de ne plus écouter la radio, de ne plus lire la presse, est-ce que ça c’est aussi une des quatre phases du deuil dont vous parliez précédemment ?

Ca, c’est vraiment quelque chose que je recommande à certains patients. Je ne suis pas vraiment certaine qu’on puisse le rapprocher à la courbe du deuil mais en tout cas, c’est quelque chose de très utile à partir du moment où on est en saturation, où on est dans une forme de dépression, où on est dans du trop. C’est vraiment un moyen de retrouver des limites, de retrouver des frontières. Je perçois une espèce de porosité entre l’effondrement extérieur et l’effondrement intérieur parfois chez les individus et ça se mélange. Le fait de parfois de se dire : « Ok, je pratique (et ça je le tiens d’une de mes patientes qui m’avait dit ça) la ‘détox médiatique’ : je vais arrêter de regarder les news, je vais arrêter un peu les réseaux sociaux. », ça permet un peu de réduire ce sentiment d’anxiété, de ne pas être intrusé par toutes ces différentes news qui nous arrivent car on est dans une société où on est hyper connectés, où nos téléphones nous permettent d’avoir toutes les infos de manière absolument immédiate. C’est vraiment quelque chose, un outil en tout cas, ou une démarche que je recommande parfois à certains patients quand il n’y a plus suffisamment de défenses et qu’ils sont vraiment trop affectés, d’une manière un peu disproportionnée. Je dis pas qu’il ne faut pas être affecté par l’état du monde mais quand ça devient trop, je pense que la démarche de se retirer un peu, de réduire son implication, en tout cas de mettre un peu en sourdine les réseaux sociaux, les news, c’est vraiment important. J’avais une patiente qui me disaient : « Oui, mais est-ce que ça veut pas dire que je retombe dans le déni ?» « Non », parce que je n’ai jamais vu personne pour le moment ( alors après ça fait pas non plus des milliers d’années que j’accompagne ce genre de problématique) repasser dans une phase de déni à partir du moment où ils avaient ouvert les yeux.

Ca paraît compliqué, en effet.

C’est pas possible de revenir en arrière et c’est ça qui est intéressant par rapport à la notion de traumatismes dont je parlais tout à l’heure. Quand on vit un traumatisme, il y a toujours une phase où on essaye de retrouver l’état antérieur. Il y a irruption de la mort, irruption d’une réalité dangereuse pour l’individu et on cherche à retrouver l’état antérieur. C’est vraiment quelque chose que je perçois dans cet éveil écologique. Mais ce n’est pas tomber dans le déni que de se protéger parfois de tout ce qui peut arriver et venir intensifier une forme de dépression, de tristesse qui va être difficile à vivre pour l’individu qui arrivait un peu à bout de ses ressources et qui est vraiment perméable à tout ce qui arrive de l’extérieur.

On ne peut pas être de tous les combats de toutes façons.

Non et c’est vraiment important de reconnaître ses limites à soi. C’est aussi, à travers l’introspection, mieux se connaître. Je fais le lien avec ce que je disais tout à l’heure par rapport aux populations de militants avec ces tendances à être dans l’épuisement, à être dans le burn-out parce qu’on va au-delà de ce qui est possible pour soi, on veut trop bien faire, il y a vraiment une posture sacrificielle et finalement les ressources s’amenuisent et les personnes se retrouvent dans un état vraiment d’épuisement psychique important, émotionnel d’où l’importance de la posture dont parle Michel Maxime Egger de ‘méditant militant’. Dire : « Moi, j’ai utilisé telle ressource, ça m’a aidé », c’est transmettre quelque chose et pouvoir être présent à ses proches que de partager. J’en reviens à l’idée de donner envie et de servir d’exemple, c’est de pouvoir dire que soi-même, on a vécu un processus compliqué, qu’on a été triste, qu’on s’est senti impuissant mais que les émotions, elles communiquent. On ne reste pas dans un puits sans fond de désespoir. A partir du moment où on traverse ses parts d’ombre, qu’on va vraiment les regarder, on retrouve de la lumière. Ce que je dis souvent à mes patients, c’est que l’idée de la psychothérapie, c’est pas de devenir une personne que lumineuse. C’est d’apprendre à vivre avec ses parts d’ombre et c’est d’aller comprendre ses vulnérabilités, c’est d’en faire des forces et c’est ce qu’on entend aussi beaucoup dans ces temps actuels, la notion de résilience. En physique des matériaux, c’est la capacité d’un état à accepter un choc. Boris Cyrulnik, qui est psychothérapeute, parle d’une capacité des individus à traverser un traumatisme. La crise qu’on vit aujourd’hui a beaucoup de facettes, ce n’est pas juste une crise sanitaire comme je disais tout à l’heure c’est aussi une crise existentielle, environnementale, identitaire, une crise de la sensibilité. Ainsi, c’est un moyen de pouvoir aller regarder à l’intérieur de soi, nos fragilités et de pouvoir trouver de l’aide à l’extérieur. On est lié les uns avec les autres, on est dans une forme d’humanité où on peut être présent dans une forme d’entraide et trouver des ressources à l’extérieur de soi dans toutes les dimensions du vivant.

Est-ce qu’il est possible, est-ce qu’il est facile aujourd’hui lorsqu’on souffre soit d’éco-anxiété soit de solastalgie, de trouver un praticien ou une praticienne qui soit à notre écoute ? Est-ce qu’on peut s’adresser à n’importe quel psychologue ou est-ce qu’il est préférable de peut-être s’orienter vers des éco-thérapeutes, éco-psychologues ?

J’ai une amie psychologue qui me dit souvent que la question environnementale, la question de l’éco-anxiété, c’est une manière de tester la qualité du psy. Il est censé pouvoir tout entendre et être dans l’accueil. Mais ce dont je m’aperçois, et c’est ça qui est extrêmement intéressant et en même temps très compliqué avec la problématique actuelle de la crise environnementale, c’est que le praticien, le psy, l’éco-psychologue, l’accompagnant, il est lui aussi en prise avec ce traumatisme qui est actuel et prospectif. Contrairement à d’autres traumatismes qu’on peut traverser, comprendre, nous aussi on est dedans et il n’y a personne qui peut dire : «  Voilà, moi, la crise environnementale je l’ai mise derrière et puis c’est bon ! ». C’est ça qui rend un peu plus compliqué cette problématique. Je dis souvent qu’avant d’être des psys, on est aussi des êtres humains et on a tous nos mécanismes de défense, notre capacité d’entendre ou pas, notre propre rythme… Effectivement, il y a des personnes qui commencent à être un peu plus identifiées comme en capacité de pouvoir entendre ce genre de problématique. En France, on a été un peu plus lent que dans les autres pays. Aux Etats-Unis, en Australie, les pays anglophones sont beaucoup plus avancés que nous. Ne serait-ce aussi en Europe, les Anglais  ont créé une Climate Psychology Alliance (CPA) qui regroupe un peu tous ces professionnels de l’accompagnement qui sont sensibilisés à ces questions-là mais néanmoins dans les pays francophones, on rattrape un peu, on essaye de se mettre en mouvement. En Belgique, il y a tout le réseau de soutien aux transitionneurs qui sont adossés au réseau Transition. En Suisse, il y a le laboratoire de la transition intérieure où intervient Michel Maxime Egger qui met en place aussi, avec des psychothérapeutes et des éco-psychologues, un cercle psy qui se réunit pour travailler autour de l’accompagnement de ces questions. Et en France aussi, on est un peu moins d’une vingtaine de psychothérapeutes, psychologues, hypnothérapeutes, sophrologues qui sont sensibilisés à ces questions-là et on a commencé depuis le mois de mars à se réunir pour échanger autour de ces questions, pour mettre en commun des ressources et on est en train de voir comment constituer un annuaire. J’ai aussi un collègue qui va prochainement sortir un site sur l’éco-psychothérapie et avec un annuaire de praticiens qui peuvent amener des personnes en forêt mais pas seulement, qui ont une pratique de reliance avec le vivant. Il y a aussi, comme je disais tout à l’heure, la fédération de sylvothérapie et de shinrin yoku qui s’appelle ‘En chemin vert’. On est en train d’essayer de structurer des choses, peut-être un peu tardivement mais en tout cas ce qui est vraiment essentiel et ce que je tiens vraiment à dire, c’est qu’il y a un mouvement de se rassembler qui est présent chez les professionnels de l’accompagnement et vraiment une vraie ouverture par rapport à ça, une légitimité de ce thème qui émerge, de ces nouvelles souffrances. Je le vois aussi chez les autres praticiens : je vais  faire une conférence auprès d’un public de psychothérapeutes, c’est une question qui commence à être vraiment présente.

C’est passionnant et ça laisse présager de belles années à venir pour cette discipline et cette éco-psychologie. J’ai hâte de suivre tout ça et j’espère qu’on aura l’occasion d’enregistrer un nouveau podcast d’ici quelques années pour en discuter et voir comment ça a évolué parce que je n’ai aucun doute sur le fait que ce sera absolument passionnant.

Avec grand plaisir !

Merci beaucoup, Charline. Je pense qu’on a fait le tour de tout ce que je voulais aborder avec vous aujourd’hui. C’était très enrichissant. J’invite bien évidemment les auditeurs et les auditrices à consulter votre site internet puisque vous mettez à notre disposition quand même beaucoup de ressources, beaucoup d’informations aussi sur ces problématiques. Je listerai bien évidemment dans la barre de description l’ensemble des ressources que vous avez mentionnées au fil de cet épisode puisqu’il y en a beaucoup. Je référencerai tout ça.

Je me permets juste de faire la promo de certaines copines qui ont écrit des ouvrages vraiment intéressants. Enfin, « copines », en tout cas personnes qui sont sensibilisés à ces questions et qui ont fait un beau travail. Il y a Laure Noualhat, journaliste anciennement à Libération, qui a écrit un livre Comment rester écolo sans devenir dépressif ; il y a Alice Desbiolles que je citais aussi, médecin de santé publique, qui a écrit un livre qui s’appelle L’éco-anxiété : vivre sereinement dans un monde abîmé et aussi Géraldine Rémy qui est belge et qui a écrit deux livres, le dernier s’appelle Qui veut la peau de la licorne : de l’éco-anxiété à la transition intérieure, qui est vraiment un ouvrage d’une éco-anxieuse qui partage tout son processus et c’est vraiment très drôle. Je vous conseille vraiment beaucoup de lire cet ouvrage. Et enfin Justine Davasse qui a créé les mouvements zéro et qui a sorti Le guide des mouvements zéro : pour un futur (enfin) désirable, qui est vraiment un manuel pratique pour faire en termes individuels de belles choses pour la planète. Voilà ce sont mes ouvrages-ressources !

Ce livre est absolument génial et je devais recevoir Justine au micro il y a quelques semaines et puis à cause du Covid, on a reporté l’enregistrement. J’espère la recevoir très bientôt parce que son ouvrage est très intéressant et vraiment à mettre entre toutes les mains. Merci beaucoup Charline !

Merci à vous !