Bonjour et bienvenue. Je suis Jeane et vous écoutez Basilic, le podcast indépendant consacré à l’environnement et aux initiatives positives. Depuis 2017, je donne la parole à celles et ceux qui façonnent le monde de demain. Dans ce podcast, on parle d’écologie, bien sûr, d’activisme, d’entreprenariat, de bénévolat. Mais avant tout, on écoute, on écoute les invités nous raconter leur parcours, leurs projets et surtout leurs rêves. Je vous donne rendez-vous ici tous les jeudis pour faire le plein d’optimisme. Si vous faites partie des fidèles auditeurs et auditrices, n’hésitez pas à laisser un commentaire et des étoiles sur la plateforme d’Applepodcast, c’est la meilleure façon de soutenir mon travail, vous pouvez aussi me rejoindre sur les réseaux sociaux @basilicpodacst. Et maintenant, place à l’épisode de la semaine. Belle écoute à tous.

Cette semaine, je reçois Julia Faure, cofondatrice de Loom. Loom est une marque française de prêt-à-porter créée et imaginée par des personnalités engagées. Au micro de Basilic, Julia nous raconte son parcours. Comment après avoir travaillé pour Amazon puis la Ruche qui dit oui, elle a finalement décidé d’entreprendre. Le discours de Julia peut surprendre lorsqu’on sait qu’elle est à la tête d’une entreprise puisque, en effet, elle prône la décroissance, la réduction massive des productions dans l’industrie textile et la durabilité de chaque vêtement. Oui, oui ces propos sont bien ceux de Julia, cheffe d’entreprise. Alors comment cela se traduit-il au quotidien ? Pourquoi Julia a-t-elle tout de même choisi de concevoir et fabriquer des vêtements ? Comment fait-on pour lutter contre l’obsolescence programmée de nos désirs ? Pourquoi et comment convaincre par l’intelligence et non la manipulation ? Nous répondons à toutes ces questions au fil de l’épisode qui, je l’espère, vous plaira. Très bonne écoute à tous !

– Bonjour Julia !

– Salut !

– Comment vas-tu ?

– Ca va bien et toi ?

– Très bien, merci. Alors aujourd’hui on va parler de plein de choses, comme d’habitude avec mes invités. On va parler de mode, bien évidemment, puisque tu es à l’origine de la marque Loom mais on va aussi parler de l’entreprise. C’est un sujet qui m’intéresse beaucoup et qui a l’air de t’intéresser aussi, de ce que j’ai pu lire de tes multiples interviews, interventions… Est-ce que tu peux commencer par te présenter, s’il te plaît ?

–  Je m’appelle Julia, j’ai 32 ans et je suis la co-fondatrice de la marque Loom. 

– Brièvement, est-ce que tu peux expliquer aux auditeurs ton parcours pour qu’on comprenne bien, qu’on arrive à te resituer en tout cas sur comment tu en es arrivée à créer Loom ? 

– Alors brièvement, je suis issue d’une famille plutôt bourgeoise de l’est de la France. Mon père est ingénieur en traitement des eaux usées et ma mère est prof d’anglais. J’ai toujours été une bonne élève, j’ai fait une prépa puis une école d’ingénieurs en agronomie. Ensuite j’ai été travailler chez Amazon, j’ai pas aimé donc je suis partie pour faire un master en études de genre, c’est la construction des inégalités de genre. Et ensuite, j’ai travaillé à la Ruche qui dit oui et enfin j’ai rejoint le projet Loom qui avait été initié par mon associé Guillaume Declair et ensemble on l’a fait évolué. Je suis co-fondatrice de Loom mais co-fondatrice, ça ne veut pas dire que j’étais là au tout, tout début.

– D’accord …

– J’ai pas trouvé de meilleur mot. On a beaucoup réfléchi avec Guillaume mais voilà c’est « co-fondatrice ».

– Ok, je ne savais pas. Je pensais que tu étais là dès le départ…

– Il y a un truc comme ça, on a l’impression que celui qui est en charge du projet, c’est celui qui était là au moment des idées etc. En fait, c’est pas forcément une bonne vision parce que les co-fondateurs / co-fondatrices, c’est les gens qui font émerger le projet, les gens qui mettent leur énergie. Moi, je suis co-fondatrice dans le sens où, à partir du moment où je l’ai rejoint, j’y ai consacré ma vie, j’ai impulsé ma vision finalement. 

– Et tu y consacres toujours ta vie…

– Oui, une bonne partie de ma vie …

– Est-ce que tu as souvenir, enfant ou adolescent, du premier geste écolo que tu aies fait ?

– Je crois que nous, on était stressés avec les robinets d’eau. Maintenant je me rends compte quand je me lave les mains, je fais couler de l’eau, j’éteins, je mets du savon, je fais couler de l’eau.. Même quand je me lave les dents… Je ne supporte pas les gens qui laissent couler l’eau comme ça. Maintenant je laisse les robinets couler pour que mon chat puisse aller boire au robinet. Il y a des espèces de trucs absurdes. Les gestes écolos qu’on nous a appris à faire, c’est beaucoup de gestes individuels et des gestes à faible impact. Ca aurait été plus intéressant que mes parents me disent : « OK pour faire couler le robinet mais pas d’avion, tu peux vraiment laisser couler le robinet tant que tu veux. Je trouve que les gestes écolos qu’on nous apprend facilement sont ceux qui ont un très très faible impact, qui sont assez symboliques en fait plutôt que d’être vraiment essentiels.

– Est-ce que tu as été surprise, estomaquée quand tu as découvert l’impact de l’industrie textile ? Est-ce que c’est quelque chose dont tu avais conscience ? Comment tu en es arrivée à t’investir dans ce milieu ?

– Le truc de l’industrie textile, c’est que t’entends beaucoup : « oui c’est la deuxième industrie la plus polluante ». Mais ce chiffre est complètement faux, il a été débunké plusieurs fois et même quand tu réfléchis, même si on produit beaucoup de fringues, tu sens que c’est pas ça le plus polluant, tu sens qu’il y a des trucs plus polluants. Je trouve que les fringues, c’est assez emblématique de la surconsommation mais je pense que tout ce qui est consommation électronique, en terme de métaux rares, en terme d’impact carbone, en terme de gaspillage de ressources précieuses, ça doit être un niveau bien au-dessus des t-shirts. Oui je ne suis pas surprise que ça ait un gros impact parce que, pour le coup, je trouve que c’est très visible. On le voit que les fringues, il y en a trop, on les voit passer, on en fait l’expérience nous-même. C’est comme le truc des emballages, on voit que les emballages, il y en a trop. Mais par exemple, l’impact des services, on n’arrive pas à le voir, l’impact du numérique, l’impact de nos voyages, tout ça c’est très invisible …

– On commence un petit peu…

– Oui mais on ne le ressent pas dans notre chair. Il y a pas un truc où, quand tu fais 4 voyages en avion, tu dois te récolter une aile de l’avion à chaque fois, gérer un truc physique qui symbolise tous les déchets que ça génère. Tu serais là : « Mais c’est dégueulasse de voyager et de prendre l’avion » ou « c’est dégueulasse d’utiliser autant Internet ». Et comment j’en suis arrivée là ? J’arrive plus trop à me souvenir… D’habitude, ce que je dis, c’est quand j’ai vu « The true cost » que j’ai vraiment compris toute la globalité des problèmes de la mode mais ça fait longtemps. J’ai lu assez tôt No logo de Naomi Klein. C’était quand j’étais en Erasmus à Valence. J’avais un prof franchement qui était un peu chelou quand j’y pense, on devait lire No logo en espagnol et je devais faire une rédac dessus en français, un prof de l’université de Valence en Espagne… Mais c’était intéressant et du coup j’ai lu No logo assez jeune, à 22 ans. C’était il y a dix ans, en 2010 et le livre avait déjà 10/20 ans et déjà elle dénonçait les pratiques des marques qui existent depuis les années 90. Déjà elle dénonçait les méfaits de la délocalisation, de la tyrannie des marques, du découplage, du fait que les marques ne possèdent plus leurs usines… C’était déjà horrible et c’est le même constat aujourd’hui, il y a quasiment rien qui a évolué depuis les années 90. Je pense que c’est un peu moins pire mais j’en suis même pas sûre… En fait, j’en sais rien…Je ne sais pas s’il n’y a plus de travail d’enfants dans les usines…Il n’y a pas eu de changement radical si ce n’est qu’avant c’était quelques marques leader qui avaient été délocalisées parce que c’était un bon business, maintenant tout le monde a fait ça. De Nike à H&M en passant par ba&sh, tout le monde produit en Chine, en Inde… Donc je crois que assez tôt j’ai eu conscience de ce que ça voulait dire un produit qui est produit loin, de ce que ça voulait dire en terme d’éthique et c’est plus tardivement que j’ai compris l’impact environnemental. Ca me semblait moins important : au début, pour moi c’était les humains d’abord et la planète après et même si j’étais sensible ces choses-là, c’était plus le social qui me semblait un motif suffisant de boycott. Aujourd’hui, je ne classerais pas une chose au-dessus d’une autre parce que je pense que les problématiques de justice sociale et environnementale sont liées et je sais que ce qui nous fait réagir c’est l’environnement. C’est assez égoïste parce que le réchauffement climatique, ça va tous nous buter alors que le fait qu’il y ait des gens qui soit en semi-esclavage pour faire nos t-shirts, ça peut durer cent ans et ça change rien à notre vie, voire c’est ce qui améliore le confort de notre vie, c’est ce qui fait notre confort. Même à petite échelle, à une échelle plus locale, je pense à tout ce qui est livraison de bouffe à Paris, les gens qui acceptent ce boulot de livreur c’est qu’ils peuvent accepter rien d’autre, pourtant ça n’empêche pas que ces entreprises soient en hyper croissance et on arrive à consommer ça… Il y a un truc chelou dans le fait que la prise de conscience écologique, ça parle plus aux gens que la prise de conscience sociale, j’ai l’impression… Moi j’étais à l’inverse, je suis partie plutôt de l’autre côté. 

– Au final, c’est les deux que tu essaies de mettre en avant 

– Oui en fait les deux sont liées. Le plus évident c’est la crise des gilets jaunes : quand tu essaies de faire des mesures écologiques qui appauvrissent encore les plus pauvres, ça donne une révolution. On est sorti de la monarchie grâce à des trucs comme ça. On ne peut protéger l’environnement que si on améliore les conditions de vie des gens qui n’arrivent pas à penser à autre chose qu’à la fin du mois. Et même en terme de justice environnementale, les premiers touchés par la pollution en France, dans les départements français, c’est les populations racisées, c’est les populations pauvres. En France, on a des scandales de pollution, de destruction de vies humaines qui sont de l’ordre de ce qu’on peut voir dans les films comme « Le monde selon Monsanto » et qu’on adresse pas. Qui chez les écologistes parlent de justice et de réparation pour les populations martiniquaises et guadeloupéennes qui bouffent de la chlordécone sur des générations et à qui ça fait des cancers… Je me suis un peu éloignée mais quand tu creuses le sujet, tu te rends compte qu’un sujet ne va pas sans l’autre et que l’idée d’une espèce de dictature écologique, ça ne marchera pas. Il faut que la démocratie s’applique partout.

– Ca ne marchera pas et ce n’est pas la bonne solution…

– Non c’est pas la bonne. J’allais dire on le voit mais je n’ai pas d’exemple. J’entends des gens comme ça qui disent : « ah mais ce qu’il faudrait, c’est une dictature et comme ça on impose des choix écologiques radicaux et ça marchera ». Ce qu’on se rend compte c’est que les prises de position les plus radicales sont plutôt du côté des démocraties et ensuite, si c’est pour mieux vivre dans un endroit sans liberté c’est pas la solution, personne n’aspire à ça. Peut-être qu’il y a des gens qui aspirent à ça mais ce serait des gens qui bénéficieraient des dictatures, peut-être les héritiers du trône se disent « oui, pourquoi pas… »

– Voilà, on revient toujours au même problème, ça c’est sûr. Et donc si on revient à Loom, vous dites, en tous cas sur votre site internet, que votre but, c’est de mettre fin à l’obsolescence programmée des vêtements. Qu’est-ce que ça veut dire l’obsolescence programmée des vêtements selon toi ?

– C’est marrant parce que je pense que depuis quelques temps notre but évolue un peu mais je te raconte après. L’obsolescence programmée des vêtements, ce sont des produits qui pourraient durer très longtemps mais on en réduit intentionnellement la durée de vie. Il se trouve que dans le textile c’est pas ça, les marques ne font pas exprès de faire des vêtements de merde. Ce qui se passe, c’est qu’en voulant produire plus vite et moins cher, tu perds en qualité c’est évident. Tu perds en qualité et tu perds en éthique, tu exploites des gens et en gros tu pollues. Voilà ce qui se passe. C’est un peu le nouveau paradigme de l’industrie textile qui veut produire vite, pas cher, donc qui délocalise, donc qui exploite, donc qui pollue et ensuite qui met 20% de son budget marketing pour dire à quel point tout ce qu’elle fait c’est vert. C’est pas vraiment dirigé, il y a pas un truc où elle se dit « je vais faire des vêtements de merde comme ça les gens vont pouvoir le racheter » c’est plutôt une conséquence de ces pratiques de prix et de rapidité. Par contre ce qu’elle se dit c’est « comment faire pour que les gens rachètent en permanence » et par exemple, faire que des t-shirts blancs de bonne qualité, c’est pas une bonne technique. Quelles sont les bonnes techniques pour faire que les gens rachètent en permanence ? C’est de créer une obsolescence programmée du désir. C’est vraiment rendre obsolète ton désir, une fois que tu as acheté le vêtement. C’est très subtil la mode, c’est si tentaculaire qu’on arrive pas à s’en rendre compte mais tout est fait pour que tu veuilles sans cesse quelque chose de nouveau et pour que tu trouves que ce que tu as acheté ou ce que tu as déjà ne fait plus l’affaire. Le plus emblématique c’est les fashion weeks hyper régulières qui sont en fait le symptôme ou alors l’amorce du renouvellement permanent des collections, où toutes les marques se battent pour renouveler de plus en plus les collections. Quand c’est pas des collections, c’est des drops, des pré-drops, des présélections, des ventes privées, des éditions limitées… tous les synonymes de nouveautés. Et il y a encore d’autres stratégies pour te faire désirer, pour te faire acheter des choses dont tu n’as pas besoin. C’est toutes les stratégies de la bonne affaire qui sont hyper dures à résister, les promos, les quatre pour un, les préventes, plein de choses qui te font dire « Ah mais c’est une bonne affaire ! Il faut absolument que j’achète maintenant sinon je vais la rater ». C’est que des choses pour t’inciter à consommer plus. Ce qui est intéressant, c’est que ce truc de nouveautés de la mode, on pourrait croire que c’est lié à la créativité. Comme elle renouvelle en permanence, on pourrait avoir l’impression que ça foisonne de créativité mais ce besoin de nouveauté est tellement dicté par un rythme rapide qu’il n’y a plus de créateurs dans la mode. J’avais écouté une interview d’une meuf qui était designer pour une marque de maroquinerie fast fashion.Elle disait qu’elle devait designer 300 sacs par an, non 100 sacs par an ! Quand tu dois designer un sac tous les 3 jours, t’as pas le temps de créer quelque chose de nouveau, tu peux juste aller acheter un sac à la concurrence ou dans un vintage, le copier et changer un truc. T’as pas le temps de faire autre chose. On pourrait croire que c’est seulement quelques marques qui copient mais la créativité de toutes les marques, c’est ça ! Sauf quelques marques de haute-couture, et encore… Il y a très peu de gens vraiment qui insufflent quelque chose de nouveau donc non seulement on est sollicités en permanence pour de la nouveauté mais en plus avec une perte de créativité terrible. On n’y gagne rien. Ca c’est le problème de la mode, donc à la base, oui, notre combat c’était de lutter contre l’obsolescence programmée des fringues et donc faire un truc de meilleure qualité. Je pensais que c’était vraiment le combat le plus important mais là je me rends compte que l’autre est autant, voire plus important. L’obsolescence programmée du désir et, en général, l’incitation à la consommation, je me rends compte que c’est ça notre vrai combat. Si je réfléchis, chez Uniqlo, ils font des fringues d’hyper bonne qualité, ils font vraiment des vêtements qui durent longtemps. Je les teste souvent en laboratoire, c’est ouf ! Ils sont très très bons avec un rapport qualité-prix imbattable, par contre ils essaient de te faire acheter tout, c’est comme Décathlon, tu rentres dans Uniqlo, tu sors toujours avec 4 trucs où tu dis « pourquoi j’ai pris ça déjà ? Est-ce que j’ai vraiment besoin de ce short sans manche ? ». Je pense que c’est hyper important de faire des fringues de bonne qualité et que ça doit être la base, comme c’est hyper important d’utiliser du coton bio, H&M utilise aussi du coton bio, Uniqlo aussi fait des fringues de bonne qualité. La vraie différence n’est pas une différenciation commerciale, la différence en terme de quête c’est comment on fait pour lutter contre la surconsommation ? Comment on fait pour lutter contre l’obsolescence programmée du désir ?C’est ça qui est clé parce que c’est ça qui relève d’un vrai changement de système. Tout le reste, c’est que des petites améliorations par rapport à un existant.

– Et toi, comment en tant que cheffe d’entreprise, tu peux lutter contre ce désir de consommer ou de surconsommer ? 

– Je pense que c’est en parlant à l’intelligence des gens. C’est marrant, les gens, ils aiment bien dire « il faut éduquer les gens » alors que c’est tellement malhonnête… Pourquoi on a envie de consommer ? C’est pas parce qu’on a suivi des cours ou c’est pas parce qu’on a un espèce d’instinct mauvais, c’est parce qu’on est abreuvés de publicités et de messages qui nous font dire que notre réalité, notre bonheur passent par la consommation et par la consommation de telles choses. 

– Si tu prends un enfant, il n’a pas besoin, il n’a pas envie et je pense pas qu’il ait ce désir profond de consommer, pas du tout. Mais nous et encore plus nos générations, on a grandi avec ce modèle-là, on a grandi avec les marques …

– Mais moi franchement, toute mon adolescence, j’ai pensé à « comment m’acheter ce survêt Lacoste et ces Air max ?». Vraiment ! Et j’ai encore un attrait pour ces marques alors que je sais ce qu’il y a derrière. J’aime trop l’esthétique de Nike alors que je les déteste comme ?? C’est tellement fort, c’est tellement tout le but de ma vie à cette époque-là … Maintenant j’ai déconstruit des choses en lisant etc mais qu’est-ce qu’ils sont forts ! Est-ce que c’est étonnant ? Les marques dépensent des milliards pour nous faire désirer des fringues, des iphones, des bagnoles, un canapé … Tout est fait pour ça donc c’est pas que les gens ne sont pas éduqués. Il y a une force éducatrice extrêmement puissante dans le monde qui est celle du marketing des grosses boîtes et de la pub qui met toute son énergie, toute sa créativité, toute son étude neuronale, qui étudie aussi nos biais cognitifs et comment marche notre cerveau, pour faire rentrer dedans le fait qu’on a besoin de consommer pour se réaliser. Quand les gens disent « il faut éduquer les gens à pas consommer, à pas surconsommer », mais qui a la puissance pour lutter contre cet arsenal ? En terme d’argent, je n’ai pas la puissance, je peux placarder partout « n’achetez pas trop de vêtements » je ruinerais ma boîte avant d’avoir le moindre effet, ce serait juste pour me faire mousser. Le seul moyen que j’ai trouvé c’est d’armer intellectuellement les gens. Armer intellectuellement les gens, c’est pas les éduquer, c’est les informer, c’est leur rendre accessible l’information sur ces sujets-là, leur faire prendre conscience : quelles sont les techniques que les marques utilisent pour nous faire acheter des choses dont on ne veut pas ? Nous, on les a appelés les « dark patterns ». Tu trouves le biais cognitif des gens et tu t’en sers pour faire acheter des choses. Je pense que la seule chose qu’on peut faire, c’est qu’une fois qu’on comprend quels sont les mécanismes utilisés, il faut les expliquer, les vulgariser, les expliquer de manière à ce que ce soit accessible au plus grand nombre. La deuxième chose, c’est s’appliquer à nous-mêmes ce qu’on reproche aux autres. En tous cas, ne pas faire ce qu’on reproche aux autres. Et ça aussi, je pense que c’est hyper important parce que, que tu ailles sur mon site et que tu voies qu’il n’y ait pas d’incitation à la consommation, je ne sais pas si ça va changer le monde mais en tout cas ça montre que c’est possible. Tout le monde essaie de te dire « vous êtes bien gentils de ne pas inciter à consommer mais c’est pas possible » parce que d’habitude ce discours vient des milieux militants, des ONG, et les gens leur disent « Vous ne savez pas ce que c’est d’avoir une entreprise. Quand vous aurez une entreprise, on en reparlera ». Nous, je pense que c’est hyper important de le faire pour notre éthique et nos convictions mais c’est surtout pour montrer que c’est possible. T’es pas obligé de faire de la merde quand tu as une entreprise, t’es pas obligé de manipuler les gens quand tu as une entreprise, t’es pas obligé de leur vendre de la merde, t’es pas obligé d’aller exploiter des gens à l’autre bout du monde, t’es pas obligé de produire des produits de mauvaise qualité. C’est hyper important ce truc par l’exemple, c’est hyper important de faire pour pouvoir dire. Je trouve qu’en agriculture, ça se fait beaucoup plus. Tu vois beaucoup de militants qui, tout à coup, se mettent à dire : « Regardez, on arrive à produire autrement ». Dans l’industrie, c’est beaucoup plus dur. Je pense que la manière de faire changer ça, à notre minuscule échelle, c’est de dire la vérité. L’avantage du discours de vérité, c’est qu’il y a moins besoin de mettre d’argent dedans pour convaincre les gens. C’est beaucoup plus fort de convaincre par l’intelligence que par la manipulation.

– Pour rebondir sur l’agriculture, c’est vrai qu’il y a des militants et des agriculteurs engagés qui montrent que c’est possible mais néanmoins l’argument qui leur est souvent retourné c’est : « Oui mais on ne produit pas dans les mêmes quantités : toi tu produis X kilos de tomates par an et moi j’en produis des tonnes et des tonnes et donc on peut pas comparer ». C’est un peu la même chose avec les vêtements où toi, on pourrait te retourner l’argument de dire : « Oui mais Julia, tu produis pas des vêtements pour des millions de personnes. »

– Oui, oui, c’est bien ça qui est pété dans la manière de penser. C’est qu’on pense qu’il faut tout concentrer et on pense qu’il doit y avoir une entreprise qui fait tout. Alors qu’on le sait, et en agriculture c’est évident, on sait qu’il faut pas des méga fermes, il faut des mini fermes, intensives en main d’oeuvre, en permaculture. Pour les vêtements, c’est pareil : il faut pas des méga usines, il faut plein de petites usines. J’ai été voir des usines où il y a vraiment beaucoup de monde et en fait, c’est horrible. Des usines où il y a plus de 300 personnes, c’est abusé ! On met des humains alors que ça pourrait être fait par des machines mais le coût de main d’oeuvre est tellement pas cher que à quoi bon automatiser ? Ces usines-là seraient en France, tout serait automatisé. C’est horrible pour les conditions de travail et c’est pas résilient comme modèle. Ca ne résiste pas aux crises, ça ne résiste pas au moindre arrêt comme le covid, c’est polluant, ça a des visées monopolistiques. Tu vas avoir la plus grosse usine possible, c’est aliénant pour tout le monde. Evidemment je ne produis pas les mêmes volumes et j’aspire pas à ça et je pense que les gens devraient arrêter de produire de si gros volumes. C’est pas une bonne chose qu’on retrouve les mêmes magasins dans toutes les villes du monde. Si tu y réfléchis, c’est nul. Tout le monde sait produire localement des fringues et ça n’a aucun intérêt d’avoir des centres de production pour le monde entier. Les gens qui répondent ça, ça m’inquiète. Les gens qui disent : « Ah oui c’est bien mignon de dire ça mais vous êtes une petite boîte, c’est plus difficile quand on est une grosse boîte. »  Justement c’est ça le problème, que ton excuse c’est que tu as une grosse boîte. Le problème de ta boîte c’est sûrement que tu es une grosse boîte et que tu as voulu atteindre une telle taille et que oui, c’est extrêmement dur quand tu as une grosse boîte d’avoir un vrai engagement militant, d’avoir un impact positif, de vraiment faire les choses bien. Avec la meilleure volonté du monde, j’attends de voir ce que va devenir H&M…

– Je sais pas…

– Moi je sais un peu… Ils ne sont pas trop en mode « on va augmenter la qualité de nos vêtements, on va arrêter d’inciter les gens à consommer. »

– J’aimerais le croire …

– J’aimerais trop qu’ils disent ça : « Ok demain, on arrête la pub, une collection par an …». On rigolerait bien… 

– Avec Loom, vous êtes 5 aujourd’hui. Comment est-ce que ça s’articule au sein de ton entreprise? Je sais que pour toi c’est assez important la façon dont tu travailles avec les gens, comment ça se passe concrètement ? Qui compose vos équipes ? 

– Guillaume et moi-même, nous sommes tous les deux associés et nous, ce qu’on garde, ce qui est pour nous le cœur du métier, ce qu’on ne veut jamais lâcher, c’est le développement produit : comment faire des vêtements qui durent le plus longtemps possible, qui ont le plus petit impact, produits localement, bref comment on fait de super bons vêtements. A côté de ça, moi je m’occupe de tout ce qui est en relation avec les fournisseurs, je m’occupe de tout ce qui est relationnel. Je vais parler à la presse, aux fournisseurs, chaque fois qu’il faut avoir des relations avec l’extérieur. Ca me prend de plus en plus de temps donc c’est assez intéressant, c’est assez rigolo. Donc développement produit, et l’autre pilier chez nous, c’est tout ce qui est communication. C’est une communication différente qu’on fait puisqu’on essaie de produire des contenus intelligents qui permettent aux gens de comprendre le monde. Ca nous prend beaucoup, beaucoup de temps mais on ne le délègue pas. On n’a pas un stagiaire qui fait les articles pour les SEO. C’est moi et Guillaume qui écrivons les articles. On écrit beaucoup. Guillaume, en plus, lit beaucoup pour qu’on puisse construire des idées évolutives et moi je lis un peu moins enfin je ne lis pas exactement les mêmes choses. L’autre chose que j’essaie de gérer dans la boîte, c’est le ton car j’ai été nommé responsable blague de Loom. On dirait pas comme ça mais c’est très important pour nous le ton. On relit beaucoup ce qu’on écrit. On parle de sujets graves, on le fait avec des blagues et tout mais on parle quand même d’exploitation humaine, de réchauffement climatique…

– Sous forme de BD aussi… J’ai trouvé ça sympa pour faire passer le message, c’est très facile à lire et ça parle à peu près à tout le monde.

– Oui, c’est trop cool ! On a adoré faire cette BD. c’était trop bien !

Voilà donc ça c’est un peu ce que je fais dans la boîte et après il y a tous les trucs stratégiques, ça c’est surtout moi et Guillaume. Maintenant on pense un peu à 5. Avant je faisais plus de trucs mais heureusement il y a deux personnes qui sont arrivées. Guillaume, il s’occupe aussi de production de contenu, d’écriture d’articles, de production d’idées et aussi du développement produit avec moi, ça veut dire compréhension textile et compréhension environnementale. Lui, il fait aussi tout ce qui est back-office, logistique et tous nos codes : il a réussi à faire que notre boîte n’est pas besoin de dév, c’est un malade du no code, il automatise tout… Tu vas sur notre site, il y a un peu des trucs de ouf : on arrive à faire la livraison en Suisse alors que la livraison en Suisse c’est un espèce de truc tout pété parce qu’il faut rembourser la TVA et ensuite leur facturer la TVA et les douanes et qu’ils puissent faire des retours… mais on a réussi à le faire de manière complètement automatisé ! Je ne sais pas s’il y a des gens qui le font mieux que nous en France. Il est trop fort, c’est assez cool d’avoir un associé comme ça ! Il fait aussi toute la logistique. Voilà ça c’est les deux trucs qu’il fait. Ensuite il y a Clément qui est notre premier salarié. C’est un peu notre homme à tout faire dans le sens où on ne savait pas trop comment faire les contrats et on l’a embauché et c’est lui qui a fait son contrat. Il apprend la RH, il gère  tous les trucs comme demander le PGE, voir les trucs avec la compta et comme on est aussi trop vieux, c’est lui qui fait aussi le compte Instagram. Jusqu’à pas longtemps c’est lui qui organisait les shooting. C’est l’homme à tout faire dans le sens où c’est quelqu’un qui est capable d’apprendre sur plein de sujets

– Un vrai couteau suisse

– Oui voilà…. mais ça fait un peu trop office manager dans une start-up… On a embauché deux personnes. On a embauché Claire, qui fait quelque chose que je faisais avant, c’est tout le suivi de qualité à la production : une fois qu’on passe une commande à une usine, c’est nous assurer que tout se passe bien et ça, si tu veux vraiment des produits de bonne qualité, c’est un plein-temps. Et elle va s’occuper de tout un projet qu’on a sur la réparation des vêtements parce qu’elle a une petite passion pour ça. Et la dernière personne qu’on a embauchée, c’est Cécile qui est à la fois directrice artistique, styliste et dev produit.  En gros sa mission, c’est de rendre Loom beau, de rendre nos shooting plus canons, qu’il y ait un vrai travail de style qu’on a pas trop fait parce qu’on a mauvais goût avec Guillaume. C’est Clément qui devait le faire mais c’est pas son taf non plus… Donc c’est elle qui est en charge de ça, c’est assez intéressant parce qu’elle a, à la fois, une bonne sensibilité là-dessus et elle est ingénieure-produit. Comme nous, on a une approche très ingénieure du vêtement, c’est un super profil pour ça. Voilà c’est à peu près tout ce qu’on fait dans la boîte …

– C’est déjà pas mal.

– Oui c’est cool. Je suis trop contente, on est cinq depuis mars et avant on était trois et c’était la galère… Pour la première fois, chacun a son territoire délimité et je trouve que tout roule trop bien, que ça avance bien, ça nous réjouit !

– C’était pas trop difficile de déléguer, d’organiser ou au contraire c’est un soulagement ?

– Non parce qu’ils sont trop forts. Je trouve que tout le monde est très doué, très bonne ambiance, très intelligents, avec une bonne sensibilité.. C’est assez cool de déléguer à des gens que tu vois qui font les choses mieux que toi. Enfin pour moi c’est le cas, vraiment ! Cécile et Claire, elles font mieux que moi le travail que je leur ai passé. C’est pas mon talent, elles sont fortes donc je ne trouve pas ça dur de déléguer, je trouve ça intéressant et puis on est cinq, je vois encore ce qui se passe. Non, je trouve ça trop cool. Déléguer à des gens qui sont compétents, c’est trop bien. 

– Et ça permet aussi de faire évoluer le projet. Parce que toi, même si tu le fais du mieux que tu peux, tu ne peux pas aller au bout du truc …

– Oui c’est clair… Et c’est pas ça qui m’intéresse le plus. Il y a d’autres trucs qui m’intéressent et c’est là-dessus que je dois me développer. 

– Tu disais tout à l’heure que vous testez vos vêtements. Comment ça se passe concrètement ? Est-ce que vous allez les tirer dans tous les sens ?

– Il y a un laboratoire avec lequel j’adore travailler, il s’appelle SMT. Je les nomme à chaque fois parce que je les aime tellement. Je les appelle au téléphone tous les deux jours pour leur poser des questions et en fait on ne le sait peut-être pas trop mais dans le milieu du textile, il y a une armada de machines qui permettent de tester des trucs différents. Là je viens de découvrir une nouvelle machine qui est trop bien, qui fait des tests de déchirure amorcée, tu pourras regarder sur internet … Il y a des machines qui arrivent à simuler à peu près toutes les usures. Nous, on fait beaucoup tester en laboratoire parce que, comme c’est des tests normalisés, tu peux vraiment comparer les vêtements entre eux sur cette résistance-là. Par exemple, on utilise beaucoup le test à l’abrasion, en gros tu frottes un bout de ton étoffe contre de la laine abrasive, nous, on le fait jusqu’à l’apparition d’un trou et ça nous donne en nombre de cycles, en nombre de tours, la résistance d’une étoffe et c’est ce qui nous permet vraiment de dire : « on va pas prendre cette merde, on va prendre ça. » Tu as la même chose sur la résistance des couleurs, la solidité des coutures, la résistance à la traction, le rétrécissement au lavage…

– Trop bien ! J’aimerais trop visiter ce genre d’endroit…

– C’est pas très sexy, ça fait assez labo, tout est blanc mais en vrai c’est trop bien et ça fait très porn. On parle de factory porn dans le textile, c’est-à-dire tu as des images de machines qui font des trucs en répétition et donc c’est assez hypnotisant. Dans les trucs de laboratoire aussi, c’est assez hypnotisant. Les machines qui en une fois te déchirent un truc… C’est trop cool ! Surtout que pour nous c’est tellement le coeur de notre métier, ça nous permet tellement de dire ce qui va et ce qui ne va pas, au moment du choix des matières premières, au moment où tu veux vérifier les prototypes, dans toute la partie du développement produit. Après, on a aussi des tests qu’on fait nous-même : si tu fais un cycle de machine à 60 avec essorage vénère ensuite tu passes au sèche-linge, ça te dit quand même quelque chose sur la résistance d’un vêtement. Tous ces tests, ça coûtent méga cher en terme de budget. Tout accumulé, tu ne peux pas tout tester. Il y a aussi des trucs qu’on fait nous-mêmes : par exemple, quand tu as développé un produit, t’as tout testé et théoriquement tout va bien, on va quand même tester quelque chose sur la tête de la production pour être sûr que le tissu qu’on a en production a bien les mêmes caractéristiques que celui qu’on a testé parce qu’on a eu des mauvaises surprises par le passé… On teste beaucoup en labo en amont, on teste pas mal nous-mêmes pendant la production et on teste aussi beaucoup des produits sur le marché pour avoir des idées. Des fois, avant de commencer un développement produit, on teste un Uniqlo, un Primark pour voir ce qui est bien et ce qui est pas bien. Parfois on teste aussi des grandes marques pour voir ce que ça veut dire une grande marque en termes de qualité et c’est assez inquiétant de voir que l’argent que tu mets, c’est pas la qualité que tu paies mais c’est la marque. Voilà c’est ça qu’on fait comme tests en permanence et ensuite on consigne tout, ce qui fait qu’on a une bonne base de données sur la résistance des différents matériaux qu’on a utilisé ou qu’utilise la concurrence.

– Il y a d’autres marques qui font ça ?

– Il y a Asphalte qui fait ça, ils le font dans le même labo que nous. Opale aussi ont commencé à le faire. Je pense que pour les nouvelles marques qui arrivent sur le marché, ça va être obligatoire. Tu ne peux plus faire des vêtements de merde, les consommateurs vont dire « si c’est pour faire de la merde, je vais chez H&M, ils le font très bien et moins cher. ». C’est pas nous qui avons inventé ces labos-là, ils travaillent pour l’industrie textile mais pas dans les mêmes buts, beaucoup sur la toxicologie, pour s’assurer qu’il n’y a pas des trucs pour une question de responsabilité. C’est assez systématique dans le textile, c’est juste que les exigences qu’ils ont en terme de résistance sont nulles, ils testent et ils disent « Note de 1 sur 7, note de 1 sur 5. Super ! » Alors que nous, c’est plutôt 4 ou 5 qu’on exige. Ils testent mais ils en font pas grand chose. Il y a peut-être des gens qui en font grand chose mais sinon comment on explique la dégradation de la qualité des vêtements sur le marché. Je pense que des fois ils disent « Attends, on va peut-être pas aller à 1, ce serait bien que ce soit au moins à 2. » Mais oui, toute l’industrie textile teste, c’est ça qui est rigolo. Les outils, on les a. Si les gens voulaient faire de la bonne qualité, ils pourraient…

– Rigolo et inquiétant…

– Oui… Il y a peut-être des choses qui sont en train de changer. Je pense que les grandes marques, elles nous regardent, elles voient ce qui se passe. Avec l’explosion de modèle comme Asphalte qui ont du succès, elles se disent « Il y a peut-être des trucs à faire sur ça ». Je donne pas 2 ans avant que tout le monde communique sur la bonne qualité de ses produits. Rien que le succès d’Uniqlo, ça doit quand même mettre un peu la pression aux marques. Uniqlo, c’est quand même assez dingue comme razzia en si peu de temps et leur valeur ajoutée, c’est ça : un bon rapport qualité / prix. Je pense que ça va revenir sur le tapis. Nous, l’autre test qu’on fait et que je pense que personne n’a le temps de faire, c’est que maintenant on essaie de porter les produits plusieurs mois avant de les mettre sur le marché et la plupart des gens, ils ont pas le temps dans leur cycle de production. Par exemple, sur le boxer qu’on va bientôt sortir, on a fait une mini production de 80 boxers, on les a vendu à prix coûtant à nos actionnaires, ils ont 2/3 mois de porté donc on a leur feedback et les garçons de l’équipe qui ont une petite « obligation » de porter le boxer depuis un peu plus d’un an maintenant. On sait vraiment au porté ce qui se passe parce qu’il y a des trucs en labo qui te disent pas, il y a des choses que tu peux pas anticiper en testant, que tu penses même pas à tester, des gênes, des trucs comme ça. C’est aussi important de faire des vêtements qui « fit » bien, dans lequel t’es confortable. Un vêtement de bonne qualité mais que tu as pas envie de mettre, ça sert à rien. C’est comme s’il était aussi à la poubelle virtuellement. Je pense que le vrai truc c’est les tests au porté qu’on fait de plus en plus. Les baskets qu’on a sorties, on les a portées pendant un an et demi avant de les sortir et on a corrigé nous-mêmes beaucoup de choses. Voilà c’est les tests qu’on fait.

– Quand tu dis vos actionnaires … Vous avez pas d’actionnaires à proprement parler, c’est des individus lambda…

– Oui, c’est des actionnaires comme mes darons ou des potes. On avait besoin d’argent, on avait surtout besoin de trésorerie – pas tellement d’argent parce que notre business model est assez à l’équilibre depuis le début – on avait besoin de trésorerie c’est-à-dire d’avancer les sous pour pouvoir faire des stocks de nos vêtements. Les banques nous prêtaient pas parce qu’on était trop petit, parce qu’on était dans le textile … bref, les banques ne veulent pas nous prêter sauf la Nef qui nous a fait un petit prêt, c’est vraiment des gens bien. Du coup, on s’est dit : « On va faire une levée de fonds » mais on ne voulait pas lever auprès des fonds d’investissement d’actionnaires classiques. Eux, ce qu’ils veulent c’est te revendre 4 ans plus tard à 10 fois ton prix donc ils vont te presser à la croissance et ensuite, ils vont te revendre à quelqu’un que tu connais pas, donc c’était hors de question. La meilleure chose, c’est d’avoir des individus qui acceptent de ne pas faire 10 fois leur mise quand ils ont mis 10 euros chez toi mais qui acceptent au contraire de penser leur investissement comme un PEL : dans 5/10 ans, ils auront 2% par an de leur investissement jusqu’à atteindre 1, 2 ou 3 fois leur mise. Ca me semble beaucoup plus « fair », c’est le principe des prêts en fait, ça marche très bien. On a fait une levée de fonds participative c’est-à-dire qu’on a écrit dans un article tout ce qui n’allait pas avec les start-up et le fait qu’elles lèvent des fonds auprès de fonds d’investissement, à quel point ça mettait en péril à la fois l’environnement, la santé de l’entreprise, l’humain etc. On a dit « bah, nous, on ne veut pas faire ça, on veut lever auprès de particuliers, est-ce que ça vous dit ? » Et là, ça a été trop cool. On a fait notre levée de fonds en 3 jours, on a dû refuser des gens. Maintenant on a 600 actionnaires à notre capital qui sont des clients et aussi des gens qui suivaient Loom et qui aimaient bien le projet et qui ont investi.. donc c’était trop cool, ça s’était il y a un an. 

– Et vous échanger avec eux, vous envoyer des mails ?

– Grave… On doit faire des rapports d’actionnaires, on doit leur raconter ce qui se passe dans l’entreprise mais d’habitude les gens qui investissent dans les boîtes, c’est leur métier donc ils savent tout lire. Nous, on doit en même temps raconter ce qui se passe à l’intérieur de Loom mais avec des chiffres en terme de business 

– Et vous savez faire ça ?

– Oui, oui, on aime bien. On vulgarise en expliquant « ça, c’est notre taux de rupture de stock , ça c’est notre taux de couverture, ça c’est ce chiffre-là, ça c’est un super bon chiffre pour ça». On envoie une newsletter, un rapport d’actionnaires, un rapport d’activité je crois, ça s’appelle le « on vous dit tout » et vraiment, là tu as tout. Si tu es actionnaire chez Loom, tu sais le taux de marge, combien on achète les trucs, on s’en fout de toute manière que les gens sachent ça. Du coup, c’est assez rigolo aussi de vulgariser comment ça marche depuis l’intérieur d’une entreprise et encore une fois de montrer avec transparence comment nous, on applique notre éthique à la gestion interne de notre entreprise. On leur parle beaucoup, des fois on leur demande des services par exemple « qui veut tester nos boxers ? » ils étaient à donf, en 1/2 heure on avait vendu les 80 boxers ! On essaie de faire une assemblée générale par an où on se retrouvent tous. C’est assez cool parce qu’en fait, c’est pas des actionnaires qui sont là pour dire « c’est quoi ces chiffres », c’est juste une armée de gens qui sont derrière toi et qui dit : « Allez-y ! Continuez ! C’est trop bien ! »

– C’est des vrais soutiens …

– Oui, c’est trop bien … Bon, y a quand même beaucoup de potes, de gens de notre famille dans ce truc. J’ai découvert après coup qu’il y avait quand même beaucoup de gens que je connaissais, peut-être pas 600 personnes mais c’est des gens qui nous aiment, qui aiment le projet et le projet leur appartient aussi, ils le font beaucoup grandir eux-mêmes. C’est trop bien et même si ça prend du temps de répondre aux questions, de discuter … ça vaut trop le coup, t’apprends trop de choses. Dès que tu as un problème, tu peux dire « est-ce que quelqu’un a un truc comme ça » et il y a quelqu’un dans tes actionnaires qui peut t’aider pour ça. D’ailleurs Claire, c’est une actionnaire, celle qu’on a embauchée en chargée de production, à la base, elle était actionnaire de Loom. Elle n’est pas devenue actionnaire pour se faire embaucher, elle croyait à mort au projet, et on ne l’a pas embauchée parce qu’elle était actionnaire, on l’a embauchée parce qu’elle était forte mais du coup c’est assez rigolo. J’avoue j’étais un peu estomaquée, elle a genre 25 ans. A 25 ans, j’aurais pas mis ma thune dans un projet comme ça… Je claquais tout dans du Lacoste et du Nike….  

– C’est vrai que ça doit être assez intéressant justement ce rapport d’activité et de vulgariser pour des gens dont c’est pas le métier. Ca doit être hyper, hyper intéressant…

– Et puis les gens, ils kiffent aussi.. Mais moi aussi, il y avait plein de trucs que je ne comprenais pas sur l’organisation, c’est aussi important au sein de l’entreprise qu’on comprenne tous ces trucs là, ces BP, ces tableaux financiers, ces comptes de trésorerie qui sont normalement des documents qui sont réservés à trois mecs qui comprennent quelque chose dans la boîte et ils sont là : « bah non c’est ça qu’il faut faire parce que… Non, non !aissez tomber, moi je connais le business plan… ». Il y a besoin que tout le monde se ré-approprie ses outils-là pour savoir vraiment quels sont les besoins, ce qu’on doit faire etc. Rien que sur le fonctionnement de l’équipe, que tout le monde sache ce qui se passe, on a besoin de ça. Et rien que pour nous, c’est intéressant. Je ne suis pas dans les tableaux financiers toute la journée donc j’ai besoin que quelqu’un me vulgarise aussi ce qui se passe dans ma boîte.

– Et en même temps comme tu le dis, ça te permet, toi, de prendre les décisions. S’il y a quelqu’un dont c’est le métier qui arrive et qui te dis « Moi, je connais tout, fais-moi confiance » comme ça peut être le cas aussi, c’est difficile. J’en ai reçu pas mal au micro qui me disaient qu’ils avaient l’impression que leur projet ne leur appartenait plus …

– Ah non parce que nous, il y a toujours eu un peu ça. Guillaume, qui est ancien consultant, a toujours fait les BP, les trucs comme ça. Mais on a besoin d’être à deux pour prendre les décisions, et c’est hyper important que chacun ait son domaine d’expertise mais qui puisse être challengé par l’autre. Je les fais pas mais je comprends les metrics de ma boîte, je comprends ce qui se passe en terme d’argent, et ce qu’il faut qu’on gagne etc. Et je trouve ça un peu chaud, en tant que chef d’entreprise qui doit prendre des décisions et de ne pas comprendre ce truc-là. Ca veut pas dire savoir le faire, ça veut dire pouvoir comprendre.

– Mais encore faut-il que quelqu’un soit prêt à t’expliquer et te prenne pas de haut …

– Je trouve ‘il y a un peu ce truc de l’économie où il y a personne qui comprend vraiment bien ce qui se passe mais on te dit « Attends c’est le plus important, l’économie, le PIB ». Comme personne ne comprend vraiment rien, on dit « on va laisser les manettes aux gens qui maîtrisent ce sujet et pour une raison économique, t’auras pas de retraite. Tu peux pas comprendre mais en gros c’est ça qui se passe ». Je trouve qu’il y’a un truc comme ça aussi à l’échelle démocratique, on comprend pas bien ce qui passe en terme de thunes, on sait pas si c’est grave d’être endetté, on sait pas ce que mesure vraiment le PIB… J’ai l’impression qu’il y a une armée d’experts qui ont la main sur ce sujet et qui disent « C’est trop compliqué, le peuple, faites-nous confiance » et qui prennent les mauvaises décisions, enfin d’après mon analyse…

– Il y a une super BD sur ce sujet qui s’appelle Economix, hyper intéressant à lire. Il y en a deux tomes, vraiment super intéressants. Mais par exemple Laetitia Van de Walle de Lamazuna, pendant des années, le samedi, elle faisait sa compta. Elle rentrait dans le dur, elle essayait d’analyser, de comprendre, parce qu’elle était toute seule de toute façon. Et même quand je travaillais avec elle, le samedi c’était consacré à la compta

– Nous, on a quand même un cabinet d’experts comptables…

– Elle aussi, mais elle mâchait le travail pour elle aussi pouvoir comprendre

– Je pense exactement la même chose sur l’impact environnemental. Je pense que la grosse erreur des marques en ce moment, c’est de faire appel à un cabinet qui leur fait leur analyse. Tu comprends rien, tu dois juste prendre pour argent comptant ce qu’ils vont te dire, c’est les experts qui arrivent et qui disent « C’est ça ». Ca veut pas dire que tu ne peux pas te faire accompagner par des gens mais en fait il faut que toi, tu comprennes foncièrement comment se répartit l’impact sur ta chaîne d’approvisionnement. Tout le monde est là dans la rue « ah oui les polybags », mais les polybags c’est quedal en terme d’impact environnemental, le gros c’est la teinture. Rien que relocaliser ta teinture dans des pays où l’énergie est décarbonnée, ça a 100 fois plus d’impact que tous les polybags de la terre. Si tu fais ça, tu peux t’enrouler de polybag chaque jour et en distribuer à tous les enfants que tu croises sur ton chemin et encore … ton impact sera toujours 1000 fois intérieur à celui de quelqu’un qui teint dans des pays qui utilisent du charbon. Je trouve qu’il y a un truc comme ça hyper clé de pouvoir comprendre tous les enjeux stratégiques et de pouvoir les comprendre en profondeur. Nous, notre enjeu stratégique, c’est de faire des vêtements qui durent longtemps. Nous, avec Guillaume, il faut qu’on ait la connaissance textile pour pas se faire endormir par des gens qui disent : « Ca, c’est de la bonne came. ». Sinon tu ne maîtrises rien, ce qui ne veut pas dire que tu ne peux pas te faire accompagner par des gens mais tu dois pouvoir comprendre vraiment ce qui se passe. 

– Tu dois apprendre et tu dois être en capacité de pouvoir juger aussi et ça c’est pas facile. Dans l’économie, dans le textile et dans tous les domaines en fait c’est pas facile du tout. J’ai lu quelque part que tu disais que tu ne blâmerais pas les consommateurs qui vont acheter des vêtements chez telles ou telles grandes enseignes mais que tu blâmais plutôt l’entreprise. Est-ce que c’est toujours ta position ? Est-ce que tu penses que c’est aux entreprises de changer, de transformer la situation actuelle et qu’on arrête un peu de plomber le consommateur ?

– En fait, c’est même pas les entreprises parce que même les salariés des entreprises, ils n’y peuvent rien… En fait, je blâme les gens qui ont le pouvoir de faire autre chose et, ne nous voilons pas la face, il y a des gens qui ont le pouvoir et si ça ne bouge pas, c’est parce qu’il y a des gens qui ont le pouvoir qui refusent de faire quelque chose. Si, du jour au lendemain, il y a le chef de telle entreprise qui décide : «On réduit un peu notre croissance, on réduit un peu notre marge, mais par contre on relocalise… » c’est fait du jour au lendemain. C’est pas que les entreprises ne savent pas ce qu’elles doivent faire, c’est qu’elles n’en ont pas la volonté. C’est parce qu’il y a des gens qui ne prennent pas leurs responsabilités ou alors qui estiment que c’est un truc de hippie de vouloir protéger l’environnement ou alors que s’ils le font, les autres ils vont les doubler… Ils sont lâches, ils ont une responsabilité, une responsabilité sur la survie de l’humanité et ils n’en font par leur choix. C’est hyper important de le dire, c’est criminel de faire ça. Aujourd’hui, quand tu es à la tête d’une grosse boîte qui pollue, aujourd’hui quand tu es politique et que tu renonces à prendre des mesures radicales, tu joues contre nous. C’est l’avenir des gens qui ont 20 ans aujourd’hui qui est hypothéqué. Moi je comprends un peu les mecs de 20 ans qui sont trop vénères. Donc non, qu’un mec ou une meuf qui gagne 2000 balles par mois aille s’acheter  pour 100 balles chez H&M chaque mois, comment je pourrais la tenir responsable de ça ? Elle n’a aucun pouvoir. Enfin si t’as un pouvoir de consommacteur, tu peux voter avec ton porte-monnaie. Effectivement si tout le monde boycottait alors il se passerait autre chose. J’ai l’impression que pour pouvoir avoir cette liberté-là, il faut déjà ne pas avoir de problème d’argent pour pouvoir penser à un peu plus long terme. Il faut aussi qu’il y ait des récompenses à ça. Dans mon milieu social, c’est beaucoup plus facile d’avoir ma gourde et d’acheter des chips bio parce que ça va être valorisé, c’est même presque obligatoire, j’ai des récompenses sociales qui me permettent de m’engager dan la voie de consommacteur. Les gens qui essaient de blâmer les consommateurs : « Ah les gens qui font la queue chez Zara qu’est ce qu’ils sont bêtes ! Ah qu’est-ce qu’ils sont nuls les gens à aller dans les fast-foods ! »  Déjà ce sont souvent des gens qui prennent l’avion, ils sont là : » ah ces cons de pauvres qui vont acheter de la fast fashion » alors que si tu regardes la pollution de la planète, c’est les riches.  Encore une fois, je pense que tu peux bouffer McDo tous les jours, si tu prends pas l’avion.. Bouffer McDO tous les jours et te déplacer en 4×4, si tu prends pas l’avion, ton impact carbone il est toujours plus faible. Le truc de vouloir blâmer l’individu, c’est une manière de détourner les yeux de qui a la responsabilité. Il commence à y avoir des tribunes et des manifestes qui parlent de ça, qui dénoncent l’effet colibri même si je trouve ça méga important de faire des petits pas etc.

– L’un empêche pas l’autre…

– C’est une stratégie des industriels pour détourner l’attention. Qui fait la plus grosse campagne pour trier les déchets et pas jeter les bouteilles plastiques dans l’océan ? C’est Coca-Cola, le metteur sur le marché de toutes ces bouteilles plastiques. Il y avait un « Cash investigation » qui l’avait hyper bien expliqué. Détourner l’attention, dire « chacun fait un petit geste » au lieu de dire « il faut un changement drastique de système à commencer par le haut », c’est une manière de ne pas changer le système alors qu’il faut changer de système, on n’a plus le temps de troquer nos pailles en plastique pour des pailles en bambou. c’est très bien les pailles en bambou c’est pas ça le problème et c’est très bien de plus avoir de polybag…

– C’est l’arbre qui cache la forêt …

– Que la législation se mette sur les pailles, alors que c’est minuscule comme chose. C’est bien qu’on interdise les pailles et qu’on file 7 milliards à la France, je trouve ça assez intéressant…La taxe gilet jaune par exemple… Alors que le kérosène, on sait que c’est toujours pas taxé et que tu peux avoir des vols internes qui sont moins chers que de prendre le train, si on faisait plutôt augmenter l’essence pour les pauvres, le tabac, l’alcool… Il y a un truc assez intéressant …

– Moi j’attends le jour où tout ces dirigeants qui ont eu le pouvoir seront jugés pour crime d’écocide 

– Même pas ! Ils ont quand même un truc sexy. Emmanuel Faber, tout le monde est là : « c’est super ce qu’il dit » alors qu’il est quand même à la tête de Danone et qu’il y a toujours rien qui a été fait. « Est-ce que tu continues à vendre de l’eau dans des bouteilles en plastiques ? – Oui – Arrête de parler alors, fais quelque chose et arrête de faire les certifications B Corp». On voit la différence entre les entreprises qui s’engagent vraiment et celles qui s’engagent pas. Biocoop, ils ont arrêté de vendre de l’eau en bouteille. Ils ont arrêté alors que c’était l’un de leur best-seller, ils ne prennent pas des légumes qui ne sont pas de saison. Ils sont capables de choix radicaux qui sont représentatifs de leurs engagements et pas de faire des milliers de discours et des milliers de campagnes de pub pour dire : « avec vous tout le temps » avec un jingle, et deux mains, une main noire et une main blanche qui se serrent, qui s’embrassent et qui se disent « ensemble le monde demain est mieux. » Je me suis un peu emballée, ça ne devait pas être très clair…  Non seulement ils arrivent à détourner leur responsabilité, à faire croire que c’est la faute des consommateurs et plus précisément des pauvres qui sont pas éduqués, qui continuent à consommer et qui savent pas que le bonheur ça va pas là-dedans, mais ils arrivent à se faire remettre des distinctions comme personnalité engagée en montrant à quel point ils s’engagent pour l’environnement et ils font de la philanthropie … Jeff Bezos, après avoir envoyé je-ne-sais quoi sur Mars et ses délires transhumanistes, file tout à coup je-ne-sais-pas combien de milliards pour la planète ! Qui peut aller lui dire que c’est pas bien ? Non seulement ils détournent la responsabilité et à la fin, ils arrivent à se faire passer pour des héros. C’est quand même assez fort et ça me vénère ! Mais là il y a un mouvement qui est en train de sortir qui explique, qui commence à dénoncer ce truc de pourquoi faire peser autant sur les consommateurs. Ce n’est qu’une stratégie pour détourner l’attention de ce qui compte vraiment et c’est une manière de ne pas changer le système.

– J’ai l’impression aussi qu’on en parle davantage

– Contrer cette image du tout est dans la responsabilité du consommateur, c’est contrer les milliards de pubs qui sont mis sur ce terrain-là, les milliards de propagande qui sont mis dedans. La seule arme qu’on a contre ça c’est la connaissance et l’intelligence. Effectivement, on peut pas demander à tout le monde de creuser ses sujets pour comprendre 

– De prendre le temps de le faire déjà …

– De comprendre à quel point les stratégies des industriels sont pétées, malsaines et malhonnêtes. Il y a des gens qui vulgarisent ça très très bien. Dans le secteur du tabac, par exemple, j’ai vu plein de documentaires qui expliquaient ça. C’est à partir du moment où le sujet m’a intéressé et que je vois un pattern qui se retrouve dans différentes industries que je me dis : « ah ouais, c’est vraiment ça qui se passe. »

– C’est possible de s’informer mais là encore s’informer ça prend du temps, c’est pas à la portée de tous…

– Et puis, il faut avoir envie, c’est déprimant aussi. Je comprends qu’il y ait des gens qui disent : « J’ai plus envie d’entendre parler de ça». Les gens de 20 ans, depuis leur 13 ans, on leur dit : « La planète est en train de crever et en 2030, il n’y aura plus de nature ». J’ai revu ma prof de prépa. bio, il y a un dossier à faire et à présenter, les TIPE. Cette année, le thème, c’était les océans et sur 20 dossiers, les 20 parlaient des problèmes, de tout ce qui n’allait pas dans les océans en terme écologique. A mon époque, c’était pas ça, moi j’avais fait un truc sur le développement des tardigrades. Personne n’a parlé de la beauté des océans ou des trucs un petit peu rigolo qui s’y passe. Les jeunes de 20 ans sont tous avec un poids hyper lourd sur ce qui va leur arriver et ce qui va arriver à leur planète. On leur en parle tout le temps, on n’arrête pas de leur créer une anxiété qu’ils ne devraient pas avoir. Ils devraient vivre librement surtout que ce n’est pas leur faute, c’est vraiment la faute de deux générations au-dessus d’eux, les mecs de 60 ans qui sont en train de se faire kiffer la vie, qui prennent des croisières et des avions à tout va et qui adorent les Duster. Je comprends que les jeunes n’aient pas envie de penser qu’à ça et je comprends aussi qu’on veuille ne pas sombrer dans la dépression. Tu le dis aussi, c’est dur de ne pas sombrer dans la dépression quand on a connaissance de tout ce qui se passe.

– C’est pas facile, oui… 

– Nous, en tant qu’individu, ce qu’on peut faire, c’est faire pression sur les gens qui ont le pouvoir et c’est dur. Qui arrive à faire pression sur Jeff Bezos ? Moi j’ai travaillé chez Amazon mais j’ai pas réussi

– Merci beaucoup, Julia. Je pense qu’on a fait le tour de mes questions. C’était très intéressant et puis il y a mille et une ressources sur le site de Loom. Sur vos réseaux sociaux, il y a plein de choses à lire pour creuser le sujet donc j’invite les auditeurs à consulter tout ça et puis à la prochaine !

– A la prochaine !